Evolution du langage.




2 – Place du cerveau rationnel et du sommeil paradoxal dans l'évolution (Evolution du langage) :

A – Le lieu de la raison :

    Cette étude achevée, nous pouvons maintenant distinguer :
    Un cerveau reptilien ou cerveau instinctif inconscient
    Un néocortex animal inconscient
    Un néocortex rationnel dit conscient

    1°) - le fonctionnement du premier est invariable car les reptiles ne peuvent pas apprendre. C'est pour cette raison qu'ils ne pourront être apprivoisés . Toutefois, quand il n'y a pas de danger et que leur besoin de nourriture est assouvi, ils tolèrent la présence d'un "maître" en tant qu'étranger inoffensif.

    2°)- le néocortex de l'animal, lui, est un cortex associatif dont la caractéristique essentielle est l'adaptabilité, les neurones établissant des connexions différentes en fonction des nécessités imposées par l'environnement.
    Le petit animal reconnaît d'abord, parmi les membres de son espèce, ceux qui font partie de sa "famille", susceptibles de le nourrir, et qui sont ses géniteurs, puis, plus largement, ceux qui font partie de sa "tribu", et cela, chez les mammifères, au sein de la meute ou du troupeau et, chez l'oiseau, au sein de la nuée. Dans cette continuité de comportement, il pourra être apprivoisé : des liens pourront s'établir avec d'autres espèces comme l'homme. Qui ne connaît pas le Renard du petit prince de Saint Exupéry ou, à l'inverse, les histoires d'enfants élevés, "apprivoisés", par des animaux sauvages?
    Une des lois humaines s'ébauche à ce stade : "tu ne tueras point!". Contrairement à ce qui se produit chez les reptiles et les poissons qui peuvent s'attaquer à leurs semblables où à leur progéniture pour leur survie personnelle, le mammifère ou l'oiseau respecte dans la plupart des cas les membres de son espèce, car pour lui "l'union fait la force"...
    Le groupe protégeant la survie individuelle, l'individu ne doit pas s'attaquer à lui, même si sa propre vie est en jeu. Toutefois le groupe nécessitant des règles de comportement communes, une hiérarchie s'impose, et seul le chef peut s'arroger le droit d'enfreindre la loi de ne pas tuer au sein de la communauté.
     Ainsi deux zones semblent se développer dans le cerveau :
    - une zone de fonctionnement vital qui ne concerne que l'individu,
    - une zone de fonctionnement restreint où les règles du groupe peuvent inhiber les mécanismes vitaux.


    3°) - le néo-cortex rationnel ne présente pas de différence majeure avec le néo-cortex animal : toutefois les règles de comportement social se développent à l'extrême. Elles peuvent inhiber complètement les comportements vitaux physiologiques, au point de supprimer, dans certains cas, la notion de vie individuelle et de privilégier les comportements altruistes.



    Comme nous le verrons ultérieurement (fig.120), le rêve apparaît comme une fonction réactivant des mécanismes associatifs : le travail des zones de la réflexion du néo-cortex rationnel se reconnecte aux aires de la perception visuelle du néo-cortex animal, et aux zones réflexes du cerveau reptilien.

    Les réactions réflexes, dès cette reconnexion, cessent d'être des réactions incontrôlables, pour devenir des réactions reconnues, acceptées comme une véritable forme de pensée réactive. Les zones visuelles ne sont plus seulement alors des zones descriptives, mais des zones de perception qui engendrent des réactions adaptées à l'environnement perçu.

Les règles du néocortex rationnel sont figées dans un cadre.
Par contre, si le cerveau reptilien permet des réactions de survie essentiellement instinctives, le cortex du mammifère intègre les règles sociales à celles de la survie : la lionne chasse en groupe un gibier qui se protège en groupe.

    Un retour au développement embryologique pourrait peut-être nous fournir des réponses complémentaires en ce sens : chez les animaux les plus primitifs, l'évolution a privilégié en premier lieu les zones de la perception, puis, chez les vertébrés supérieurs, le fonctionnement collectif et, par là même, l'apparition des zones du langage.
    Nous retrouvons ces zones du langage à leur stade le plus avancé chez l'homme, mais uniquement dans l'hémisphère gauche ...
    Il apparaît que les deux hémisphères se sont progressivement spécialisés : l'hémisphère droit, siège des affects, plutôt dirigé vers l'image et la forme, l'hémisphère gauche, essentiellement analytique. Chez l'homme, dans l'hémisphère gauche, nous retrouvons une région entourant le cortex auditif où sont traités aussi bien les mots et la syntaxe (zone de Broca) que leur sens (zone de Wernicke).

    Le langage est le propre de la communication et donc de la relation sociale, la présence du centre du langage dans l'hémisphère gauche permet de relier cet hémisphère à la pensée sociale ...



    Ainsi, à un certain stade, les réactions instinctives seules n'étant plus suffisantes, les deux parties de l'encéphale sont devenues asymétriques, et l'une, siège de la perception, répondrait aux réactions instinctives en relation avec les comportements individuels, tandis que l'autre se conformerait à une logique sociale :

La survie personnelle intègre une sensibilité liée aux réactions instinctives.
Le fonctionnement dans le groupe intègre la logique sociale au détriment des réactions instinctives.

La sensibilité personnelle a ses raisons
Que la raison sociale ignore!...


                 -Apparition du langage :
    Nous avons vu que la rationalité est un type de fonctionnement limité à l'intérieur du champ très large de nos possibilités mentales. On peut se demander si la raison peut être localisée au sein des structures cérébrales.
    L'animal est celui qui voit, ressent et réagit en fonction de la vie. A l'inverse, l'homme est celui qui voit, déclenche son discours intérieur, et agit pour transformer le monde en fonction de son intérêt personnel.
    Nous pouvons à partir de là supposer l'activation préférentielle de certains centres cérébraux.
    L'homme rationnel transforme son environnement, et dans la majorité des cas il est droitier (environ 90% de la population utilise plutôt la main droite pour accomplir des tâches manuelles) Il fait donc intervenir dans chacun de ses actes une aire motrice cérébrale gauche. Ces zones motrices ne sont activées qu'après l'intervention de la réflexion et du langage intérieur, qui commence avec la vision.).
    D'autre part, c'est aussi le langage qui exprime le mieux la rationalité!

    Le centre du langage est situé dans l'hémisphère cérébral gauche (lobe temporal); il est contigu aux aires motrices, ce qui pourrait vouloir dire qu'il peut influencer directement ces aires motrices en court-circuitant tout autre type de reconnaissance...
    En ce sens, il pourrait agir comme un chef d'état détenteur d'un pouvoir absolu, décidant seul sans jamais demander conseil ni à ses ministres (les autres aires cérébrales), ni au peuple (le corps).


    Mais comment le langage est-il apparu chez l'homme?
    Pour le savoir il est nécessaire de se demander à quoi correspondent, chez le singe, ces zones qui ont subi une telle transformation chez l'homme.
    Chez le singe, nous ne retrouvons pas, dans l'aire de Broca, la vocalisation qui se situe dans la zone limbique, par contre les neurobiologistes y ont trouvé des neurones qui commandent des mouvements de la main et de la face, cette région étant également utilisée dans la reconnaissance des actions des congénères .
    Comme s'il n'y avait pas de différence entre le mouvement d'un singe qui saisit une banane, et ce même mouvement observé par un autre singe qui en "saisit" sens. Le même mouvement va permettre désormais d'agir et de communiquer une information.
    Le geste sert aussi de support à la communication chez l'homme, mais l'apparition du langage l'amènera à s'abstraire de toute perception gestuelle.

Chez le primate, la communication commence par la gestuelle et les son produits, sans que les vocalisations s'avèrent nécessaires.
En réponse, la perception entraîne la réaction chez le congénère.
Chez l'homme, le langage peut suffire à exprimer, en dehors de toute mimique ou gestuelle.

    Cependant ce langage du geste, la mimique, existe toujours en nous, mais à défaut d'en avoir conscience, nous nous contentons de l'appeler intuition ...

                 -Passage de la communication animale au langage humain :
    Le langage humain perd parfois sa fonction première de communication, quand l'information est occultée et qu'il devient le moyen d'exercer un pouvoir, comme on peut le constater dans un certain langage diplomatique, commercial ou sectaire.
    Tout se passe comme si le langage social, qui nous a fait perdre une partie de notre individualité, était quelquefois détourné pour permettre quand même la satisfaction de nos désirs personnels.
    Si la conscience est la capacité à percevoir et comprendre, le langage de la raison n'a rien à voir avec la conscience car il peut la contredire. Des études sur cette asymétrie de nos deux hémisphères ont montré que des lésions de l'hémisphère droit provoquaient des perturbations profondes de la personnalité : par exemple, dans le cas d'une paralysie, le sujet qui ne fonctionne plus qu'avec son hémisphère gauche peut totalement nier son infirmité en dépit de l'évidence, trouvant des prétextes futiles pour ne pas la reconnaître...
    Déterminant pour l'expression verbale et pour l'habileté manuelle, cet hémisphère, qui prédomine chez l'homme, est comme le bon intellectuel qui pourra philosopher des heures en justifiant ses dires ou le bon ouvrier qui se trouvera toujours de bonnes raisons d'agir, mais il n'est pas le "sage" qui connaît la vraie réalité des choses et sait s'en contenter ...




                 -Passage de la conscience animale à la conscience humaine :
    Voyons maintenant comment la "conscience animale" se distingue de la "conscience humaine" dans ses réactions.
    Partons d'une menace perçue visuellement :
Un animal voit un prédateur : sa perception part de l'organe sensoriel œil, pour être reconnue dans les aires visuelles occipitales.
A ce stade il n'y a pas de latéralisation, chaque œil envoie ses informations aux deux lobes occipitaux cérébraux pour aboutir aux zones internes émotionnelles, et il réagit instantanément en prenant la fuite.


    Chez l'homme, face au même danger, les aires visuelles sont activées de la même manière pour aboutir aux mêmes zones émotionnelles, mais le discours intérieur intervient instantanément :
« - Que dois-je faire?
- Fuir? Impossible! C'est lâche!
- Mais je vais mourir!
- Où est mon arme?
- La voilà! »


    Pendant ce temps, les réactions instinctives demeurent inhibées.
Aussi, lorsque la réaction se fait enfin au niveau des zones motrices, ce n'est plus à partir des zones émotionnelles, mais à partir des zones du langage seulement.




    Ainsi l'animal réagit dans la fuite avec tout son corps, et l'homme réagit après réflexion avec sa main droite!
    L'importance de ces réactions en fonction de la perception spatiale bilatérale chez l'animal, devenue unilatérale chez l'homme, peut être soulignée par le fait que l'hémisphère droit du cerveau se développe deux semaines plus tôt que le gauche. Ce qui pourrait suggérer que l'hémisphère droit se développe immédiatement en fonction d'une programmation génétique, alors que le gauche achève sa maturation avec les premiers contacts sociaux. Plus tard, la prééminence de cet hémisphère se poursuit pour assurer sa survie dans le contexte social devenu le seul prédateur de l'individu.
    Ainsi une forme d'adaptation apparue chez les Primates qui consiste à tromper l'autre interviendrait pour minimiser le rôle de l'hémisphère droit en prise avec la perception de la réalité.

    Au sein du règne animal, en cas de conflit, les réactions se feraient selon trois modes différents :
- pour les reptiles, des réactions retenues par l'évolution ;
- pour les mammifères supérieurs, l'intervention d'une logique capable d'effectuer un choix entre son individualité et l'environnement social ;
- pour l'homme, des réactions adaptées ou détournées pour faire respecter une part de son individualité.



    L'évolution du système nerveux se serait donc faite à partir d'un cerveau unique et instinctif, ce dernier poursuivant son évolution en se spécialisant en deux hémisphères dont l'un, à prédominance instinctive, est régulé par le deuxième, à prédominance sociale et lié à la communication.




    Chez l'homme cette communication se serait développée en langage plus élaboré capable de s'abstraire de la perception du monde, allant jusqu'à développer la raison arbitraire, les "bonnes raisons" permettent de justifier ses actes en ignorant la réalité du monde, et la relation avec les autres.




    Ce que nous avons appelé jusqu'ici "cerveau rationnel" n'est donc que le cerveau social animal nouvellement adapté aux sociétés humaines, dont nous avons vu que la particularité était de pouvoir ignorer totalement l'environnement naturel et ses lois.

B - Place du sommeil paradoxal et du langage rationnel dans l'évolution :

    Des mécanismes ont fait passer le règne vivant de la dépendance à l'adaptation au milieu extérieur (passage du végétal à l'animal). Parallèlement, l'adaptation a développé des récepteurs sensoriels permettant à une « pensée sensible » de se substituer au seul fonctionnement vital.

Les plantes, protégées au départ dans la coque de la graine, ou l'embryon protégé dans la coquille de l'oeuf,
dépendent des conditions du milieu extérieur. Cette protection pourra durer à l'état adulte (écorce, carapace)

Dans un stade intermédiaire, l'embryon, pourtant protégé dans une coquille, donnera naissance à un animal pourvu d'une enveloppe sensible.

Le perfectionnement de l'adaptabilité amène l'animal à perdre ses protections mécaniques
pour passer à une régulation lui pemettant de conserver son activité quelles que soient les conditions du milieu.

    Ainsi la perte de la carapace s'est accompagnée de la transformation des couches protectrices externes en un tissu cutané promu au rang de véritable organe de réception sensorielle.
    Ce phénomène lui-même est observé au niveau de la vie cellulaire primitive par le passage d'une cellule aux contours bien définis, à la cellule nerveuse projetant ses contacts dans toutes les directions. L'embryon passe lui-même de l'isolement dans une coquille, chez les reptiles, au contact avec l'organisme maternel, protection vivante stimulant certains de ses organes sensoriels, chez les mammifères.
    C'est justement au sein de ces derniers que s'observe le sommeil paradoxal.

    A quel moment de l'évolution pouvons-nous donc situer l'apparition du sommeil paradoxal (S.P.)?
    Elle se situe au passage entre deux pôles : celui de la poïkilothermie liée au fonctionnement du tronc cérébral, et celui de l'homéothermie dont a besoin le néo-cortex.

Le sommeil paradoxal se situe à la charnière de l'évolution qui fait passer l'être vivant
des protections à la sensibilité, et de la dépendance à l'adaptation.

    Nous avons pu constater que l'évolution vers le langage s'est faite par étapes. Au cours de ces étapes, il existe une continuité dans les mécanismes associatifs et d'adaptation qui se sont installés.



    Le sommeil paradoxal constitue une transition entre la dépendance et l'adaptation (la sensibilité étant le moyen d'améliorer les capacités d'adaptation). L'apparition du langage rationnel constitue une transition nouvelle qui favorise les capacités de transformation du milieu.
    C'est ainsi que l'homme, au sein de l'évolution, occupe une place à part car il quitte le domaine des adaptations pour revenir à un système de protection par la transformation de son environnement.

    A ce moment là, tout en perdant son caractère indispensable, le sommeil paradoxal conserve toutefois son rôle primitif : la préservation de la vie de l'individu.

Il apparaît à la charnière entre tronc cérébral et néo-cortex, entre vie individuelle et vie sociale.
Chez les vertébrés, il met en évidence les mécanismes associatifs qui vont faire communiquer ces deux structures et ces deux modes de comportement.

    L'homme se situe en bout de chaîne avec le rêve descriptible tel que nous le connaissons, puisque son langage est à même de décrire les images issues des phénomènes bioélectriques qui l'envahissent durant la nuit, que les scientifiques ont appelé sommeil paradoxal..
    Le rêve devient alors, tout comme la parole, le propre de l'homme.
    Or, au moment même où le rêve, observé si longtemps comme un phénomène mystérieux, apparaît comme une réalité intérieure qui favorise notre évolution en reconnectant la totalité de nos capacités, les sciences de l'évolution suivent le même chemin. En effet, après avoir observé et décrit l'évolution à partir de l'aspect visible des espèces (les ossements), elles étudient désormais les structures intimes : les gènes.
    Les conclusions demeurent similaires, mais les connaissances gagnent une dimension nouvelle : celle de la vie.



3 - les trois modules de la pensée (mécanisme du rêve) : (suite)