A – Manifestation de la conscience – les voies de la science :
C'est au psychologue Bernard BAARS que la science doit sa
première avancée dans la compréhension de la conscience. Grâce à la
méthode dite « contrastive » (méthode de soustraction), il a été possible de déterminer
quand la conscience se manifeste. Pour cela, on compare les situations où elle se manifeste, à des situations où le sujet n'est pas conscient.
On peut alors déduire, au niveau du cerveau, quelles régions déterminent l'accès à la conscience bien que participant à des processus inconscients
[cf : méthode de soustraction].
Le risque de cette méthode est toutefois de réduire les états mentaux à des structures neuronales.
Cependant, d'autres mécanismes sont propres à la conscience, comme le fait de maintenir un mot en mémoire à court terme
(mémoire de travail).
Francis CRICK, co-découvreur de l'ADN, et son étudiant Christophe Koch, ont alors proposé d'
établir des corrélations entre les structures neurophysiologiques et les états mentaux, introduisant ainsi la notion de corrélats neuronaux de la conscience.
Tout comme la précédente, cette méthode consiste à comparer des situations conscientes et non conscientes,
en s'appuyant cette fois sur les structures cérébrales et les mécanismes neuronaux mis en jeu, afin de repérer ceux qui aboutissent à une expérience consciente.
L'exemple est celui des mots perçus consciemment ou de manière subliminale
[cf : Localisation de la conscience]
L'exploitation de la
rivalité binoculaire permet elle-aussi d'étudier l'impact que la vision consciente ou non consciente a sur l'activité cérébrale.
Par exemple, un œil voit un paysage a travers un tube, l'autre voit la paume de sa main : les images ne fusionnent pas et peuvent être discernées l'une après l'autre selon que l'on regarde avec un œil ou l'autre. Cela permet d'étudier l'impact.....
Ainsi, une zone qui va s'activer à la vision (ou au contact) d'un objet, objet perçu consciemment ou non, ne pourra être considérée comme siège de la conscience. D'autres régions, comme le cortex inféro-temporal, seront au contraire impliquées uniquement lorsque la perception est consciente.
Toutefois, l'amélioration des techniques, a rendu la situation bien plus complexe.
C'est ainsi qu' au début des années 2000, Stanislas DEHAENE et ses collègues de l'unité de neuro imagerie cognitive INSERM – CEA à Orsay, ont montré que ce n'était pas une règle absolue Ainsi le cortex inférotemporal peut être activé par des stimuli subliminaux, et
c'est au-delà d'un certain seuil d'activité neuronale que des régions encore plus antérieures du cerveau, en particulier le cortex préfrontal, vont s'activer seulement lors de processus conscients.
Ainsi la conscience a-t-elle pu apparaître comme le
dernier maillon d‘une longue suite d'événements neuronaux non conscients
[cf : l'inconscient génère ses propres pensées], avant que l'information soit redirigée vers d'autres régions du cortex.
Actuellement, le cortex préfrontal apparaît comme un
lieu de convergence permettant aux aires sensorielles d'interagir avec les aires habilitées à effectuer une tâche ou à faire face à une situation donnée.
De plus, le cortex préfrontal met en jeu des processus permettant de porter attention aux informations reçues, même quand elles ont disparu.
L'attention portée sur les informations en provenance des aires sensorielles permet les actions volontaires.
On a actuellement abandonné l'idée que l'on puisse trouver un jour dans le cerveau une aire bien définie, dévolue à la conscience. Celle-ci serait plutôt issue des
échanges d'informations et des interactions entre une
multitude de régions cérébrales.
C'est ainsi que le philosophe australien David Chalmers a pu proposer de distinguer, dans l'étude de la conscience, un problème « facile » et un problème « difficile ».
Le premier consiste à étudier les
critères objectifs associés à la conscience, tandis que le second apparaîtrait lorsqu'il s'agit de comprendre l'
expérience subjective, et la façon dont le cerveau donne naissance à cet aspect de la vie mentale.
De son côté, un autre philosophe, Ned Block de l'université de New York, a lui aussi distingué deux aspects de la conscience : une conscience d'accès et une conscience phénoménale.
- la conscience d'accès correspondrait aux
événements vécus dans la journée et qui peuvent donner lieu à des expérimentations,
- la conscience phénoménale correspondrait à l'
expérience subjective, comme l'émotion que nous éprouvons sans pouvoir la décrire. Cette forme de conscience est
inaccessible à la méthode scientifique.
On peut faire... |
ou penser avec tristesse à ce qu'on pourrait faire. |
Une autre approche, comme celle de
A. Damasio, propose de distinguer conscience noyau et conscience étendue, cette dernière étant supérieure. Mais observe-t-on des niveaux hiérarchiques ou, au contraire, deux formes
complémentaires d'accès à la conscience ?
« L'exploration de la conscience met en évidence deux types de conscience,
à la fois différentes et complémentaires ».
B – Conscience et traitement de l’information :
a - Les voies de l'information :
1 - Complémentarité des voies :
Nous avons vu que l'activation cérébrale aboutissant à la conscience visuelle
se propage d'arrière en avant,
laissant supposer que le cortex frontal occupe une place prépondérante dans le processus de prise de conscience.
Au cours des années 1990, les aires cérébrales privilégiées comme support de la conscience, pensait-on, constituaient la voie ventrale du cerveau.
Depuis, dans le domaine de la vision,
deux voies ont pu être distinguées, une voie dorsale et une voie ventrale:
On admet actuellement que la
voie dorsale qui emprunte le cortex pariétal (spécialisé dans le traitement de l'espace) a pour but de transmettre des informations nécessaires à notre cerveau pour agencer l'espace environnant et y
localiser les objets. Toutefois, cette voie ne permettrait pas de les identifier :
reconnaître les objets serait dévolu à la
voie ventrale.
La voie du « où ? » permet le positionnement d'objets inconnus, la voie du « quoi ? » permet de les reconnaître.
C'est donc l'
activité complémentaire de ces deux voies qui permettrait une prise de conscience complète.
L'accès à la conscience nécessite donc un cheminement de l'activité cérébrale dans des centres différents et par des voies parallèles qui finissent par se rejoindre pour aboutir à une
reconnaissance complète de l'environnement.
« La conscience nécessite des systèmes de perception complémentaires. »
2 - Communication à distance :
C'est ainsi que l'on peut déterminer que l'espace neuronal de la conscience est essentiellement doté de neurones dits à «
axones longs » lui conférant la capacité de relier des zones du cerveau qui peuvent être
éloignées les unes des autres
[cf : le cerveau des génies].
L'importance de ces neurones longs est également apparue lorsqu'on s'est intéressé au corps calleux dont le rôle est de permettre l'
échange d'informations entre les hémisphères droit et gauche. Si cette voie de communication est interrompue, la prise de conscience peut être
incomplète.
Sans lui, des informations d'une importance majeure ne peuvent accéder à notre conscience, certains éléments en provenance de la mémoire pouvant être ignorés .La perception du corps peut également être altérée
(signe de la main étrangère), et les comportements perturbés (signe de la main capricieuse).
En l'absence du corps calleux, et si nos sens n'étaient pas dédoublés, nous serions comme des aveugles qui ne se représentent le monde qu'à travers les descriptions d'autrui
[cf : Symptômes de l'héminégligence chez les patients au cerveau divisé].
Le corps calleux nous a révélé à la fois la mise en commun des informations, et la compétition qui existe entre les deux hémisphères.
En son absence, les informations issues de l'hémisphère droit seront ignorées par l'hémisphère gauche.
Si l'hémisphère langagier peut décrire ce dont il a conscience, l'autre demeurera silencieux.
« L'interruption des voies de communication exclut la conscience. »
3 - La conscience à la croisée des chemins de l'information :
On considère généralement que si le patient réagit à la commande, c'est alors un signe de conscience
[cf : jeune anglaise]... Pourtant, pour aboutir à cela, il a fallu que des cellules auditives ou visuelles « perçoivent » le changement environnemental et communiquent l'information à d'autres régions du cerveau. Ces dernières vont transformer le signal auditif ou visuel en signal électrique ou libérer des neuro médiateurs. Des informations stockées en mémoire vont être recherchées afin de coder un message plus élaboré vers une autre zone cérébrale. C'est cette dernière qui sera capable de le traduire en langage susceptible d'être compris par l'interlocuteur
Cependant, le cas de la jeune anglaise nous a montré que l'activité cérébrale que nous appelons « conscience » est
indépendante de la capacité du sujet à s'exprimer avec des mots, même si nous avons vu l'importance du langage dans notre capacité à appréhender le monde. Elle semble par contre tout à fait
dépendante de la capacité à recevoir des informations et d'y réagir ; en cela, les autres espèces dans le règne animal ne nous sont pas inférieures.
Communication verbale ou gestuelle.
Toutefois, comme l'a fait remarquer Mario Beauregard, neuropsychologue, qu'une région cérébrale s'active dans une expérience
indique seulement qu'elle est impliquée dans la fonction étudiée. On ne peut pas en déduire qu'elle crée la fonction.
Comment alors déterminer la région qui pourrait être à l'origine de la conscience ?
Un autre problème est posé par l'étude de la conscience : si chaque individu peut avoir la certitude d'avoir conscience,
seule une personne extérieure peut déterminer l'existence de cette conscience. Pour ce faire, le sujet étudié doit pouvoir
répondre à celui qui l‘étudie, par le biais du langage, de signes, ou d'activations cérébrales comme nous l'avons vu dans le cas de la jeune anglaise.
Reste que les chercheurs ont une autre corde à leur arc, celle de l'
attention. C'est grâce à elle que la conscience sort enfin des critères purement humains et adultes pour s'élargir à l'enfant, et à cet être mystérieux si longtemps considéré comme inconscient et inférieur : l'animal.
Cette attention met en évidence une
conscience qui ne s'exprime pas avec des mots.
Notre propre conscience, celle qui s'exprime par le langage, viendrait seulement
compléter une « conscience » inexprimable, que l'on peut cependant décrire par des termes très vagues (« hyper conscience », « illumination »), une conscience qu'a peut-être l'enfant qui perçoit le monde, mais qui reste indicible.
La conscience, qui ne peut apparaître que grâce aux informations reçues, a aussi la capacité de distinguer celles qui sont utiles de celles qui sont inutiles. Celles qui sont utiles seront celles qui entraînent des réactions personnelles (fuite, attaque) liées à la vie, ou celles qui sont nécessitées par l'environnement social.
« La conscience est indissociable des informations reçues,
et elle est nécessaire pour valider un choix. »
4 - Conscience et mémoire :
L'héminégligence nous a montré l'
importance de la mémoire : ne pas se souvenir de la symétrie qui existe dans certains objets occulte la conscience que l'on peut avoir de la
partie manquante de l'objet.
Par contre, dans notre vie quotidienne, ne voir qu'un dossier derrière une table n'empêche pas d'avoir conscience d'une chaise avec une assise et quatre pieds. De même, ne plus voir un parent parti à l'étranger ne supprime pas le souvenir de son existence.
Imaginons l'existence des moustiques. Tant qu'ils ne nous auront pas piqué, nous n'en aurons pas conscience. Le monde extérieur doit d'abord
attirer notre attention pour permettre cette acquisition nouvelle.
Une conscience efficace inclut donc obligatoirement la mémorisation qui permet la
conservation de l'expérience vécue laquelle participera à une prise de conscience ultérieure.
« Pour que la conscience soit conservée, la mémoire est indispensable ! »
b - Les régions cérébrales participant de la conscience :
1 - Rapports de la conscience et de l'inconscient :
Nous avons vu que l'inconscient
génère ses propres pensées.
Pour comprendre le fonctionnement de la conscience, des chercheurs ont mis l'accent sur l'
activité thalamo corticale, tandis que d'autres ont donné un rôle fondamental aux
structures sous-corticales pourtant généralement dévolues au fonctionnement inconscients.
Ainsi le neuro scientifique Suédois Bjorn Merker a mis en évidence que le
tronc cérébral joue un rôle plus important qu'on ne l'aurait cru dans la conscience. Il contient de nombreux noyaux comme la formation réticulée, la protubérance annulaire, les noyaux du Raphé et le locus coeruleus qui sont des structures impliquées dans le
maintien de l'éveil, état où nous sommes en relation avec notre environnement.
« Des régions qui n'appartiennent pas aux réseaux de la conscience
sont indispensables à son fonctionnement. »
La conscience est-elle intimement liée au seul éveil ?
2 - Conscience et sommeil paradoxal :
Nous connaissons également ces études électrophysiologiques qui ont mis en évidence l'existence d'une conscience noyau présente dans toutes les formes de sommeil : à notre insu, notre cerveau
demeure à l'écoute de son environnement.
Au cours du sommeil paradoxal, rien ne focalise plus notre attention. La situation du jour nous a fait ressentir des émotions, la persistance de ces mêmes émotions va être à l'origine des images du rêve. En effet, d'autres régions de notre cerveau ont conservé des traces de notre vie, de nos émotions, de notre capacité à réagir ou ne pas réagir.
Si, le jour, une agression peut déclencher la peur, la nuit, seule la peur sera à l'origine de cauchemars reproduisant ou non l'expérience du jour.
Durant la nuit, notre conscience est cette fois
détachée de l'environnement réel : nous évoluons dans un monde d'images générées par des processus qui échappent à notre contrôle, mais dont le déroulement dépend toutefois de la personnalité du rêveur : on peut alors en déduire que cette activité cérébrale tournée vers le monde intérieur est une
activité introspective. Elle met en valeur les rapports entre notre raison limitée et notre sensibilité curieuse de tout, entre la structure figée du monde extérieur et notre imaginaire. En excluant les relations que nous entretenions avec l'environnement réel, le rêve nous met en relation avec nos propres limites, que celles-ci soient liées à nos conditionnements, nos peurs, ou nos envies.
Imaginons que nous ayons eu un désaccord avec notre voisin. Si, la nuit, nous revivons en rêve ce même désaccord, ce voisin
n'est pas réellement présent : ce n'est donc pas de lui dont il s'agit. Au cours du rêve, notre inconscient ne fait
qu'illustrer un conflit intérieur dont colère et incompréhension sont à l'origine. L'image du voisin n'est là que
pour illustrer cette émotion qui nous envahit jusqu'au cœur de la nuit.
Nous retrouvons là le rôle de
simulateur du rêve. Il nous met face à une autre façon de penser que notre raison a préféré refouler dans l'inconscient.
Or, c'est malheureusement avec
notre seule raison que nous tentons de comprendre cette émotion vécue au cours du rêve.
La situation du rêve et la situation réelle racontent la même histoire, mais le sens en est différent.
Le conflit réel génère une émotion, la nuit c'est l'émotion qui génère la situation.
Ainsi, notre pensée apparaît-elle partagée entre des forces contraires :
tournée vers le monde extérieur le jour, la nuit centrée sur soi.
Cependant, cette conscience que nous avions qualifié d'introspective est bien fragile : elle va s'évaporer dès le retour au monde extérieur : l'
équilibre relationnel établi entre cortex frontal et système limbique durant le sommeil paradoxal s'est rompu.
Cette capacité d'interaction avec l'environnement que possède notre pensée en toute situation apparaît aussi dans le somnambulisme : quelque chose en nous perçoit l'environnement réel et nous permet d'y évoluer. Pourtant, nous n'en avons pas conscience.
Grâce aux états traversés au cours du sommeil, nous pourrions alors
envisager qu'il n'existe qu'une seule forme de pensée issue de nos sens et capable de percevoir ou d'imaginer aussi bien au cours de la journée que de la nuit, mais notre conscience n'a accès qu'à
une part limitée de cette pensée
« La pensée capable de percevoir est indépendante de l'éveil ou du sommeil,
elle apparaît grâce à un dialogue permanent entre le monde extérieur et le monde intérieur. »
On observe ainsi, au cours du sommeil paradoxal, l'activation de nombreuses régions. Mais l'important, ce n'est pas tant leur activité, que
la manière dont elles communiquent entre elles, directement ou par l'intermédiaire du thalamus.
En dehors du sommeil paradoxal, ces régions ne peuvent communiquer que si notre imaginaire est sollicité. Cependant le rêve est aussi lié à nos expériences, ce qui explique que l'on y retrouve toujours un environnement connu : la maison que nous voyons ressemble à celles qui nous entourent ou à l'abri étrange admiré dans un magazine de voyages ; quant au monstre du rêve, il peut être inspiré par les contes de notre enfance, ou par un film terrifiant que nous avons vu un jour.
Toutefois, nous pouvons très bien ne plus en conserver la conscience à notre réveil car notre mémoire est
sélective. Ce sera alors le dormeur à nos côtés qui nous apprendra que nous avons été agité, tout comme après une intervention chirurgicale sous
anesthésie générale, l'infirmière annoncera que l'intervention s'est bien déroulée.
« Le sommeil nous révèle l'existence d'une pensée unique
axée aussi bien sur le monde extérieur que sur le monde intérieur.
Cette pensée se réduit comme une « peau de chagrin » dès notre réveil pour devenir ce que nous appelons la conscience. »
c - Conscience et distorsion des informations :
1 - L'illusion de réalité – les expériences de sortie du corps (OBE) :
Nous connaissons ces situations de décorporation survenues chez des patients lors d'un arrêt cardiaque qui entraîne une
anoxie du cerveau. En dehors de ces situations liées à un stress cérébral, ces mêmes phénomènes se produisent lors de la stimulation de
certaines régions du cerveau.
Ainsi, le neurochirurgien canadien Wilder Graves Penfield avait-il pu constater, dès les années 1950, cette perception de
dissociation corporelle chez les patients dont il stimulait le lobe temporal droit.
50 ans plus tard, une réaction similaire a pu être observée chez une patiente épileptique dont le neurochirurgien suisse Olaf Blanke stimulait le
gyrus angulaire droit : la patiente eut d'abord l'impression de s'
enfoncer dans son lit, puis
elle se vit de haut, allongée sur le lit, mais elle ne voyait
que ses jambes et son tronc
En 2006, O. Blanke obtint un résultat différent : tandis qu'il stimulait le
gyrus angulaire gauche d'une patiente, cette dernière eut la sensation d'une
présence sur son côté droit, un peu en retrait. Ce double imaginaire changeait de position en même temps qu'elle, comme si c'était son ombre.
Cette distorsion s'observe lorsque
cesse le communication entre certaines aires cérébrales (somesthésiques, visuelles, mémoire), mettant encore une fois en évidence la nécessité de communication entre les différentes aires cérébrales.
Seul un interrogatoire plus approfondi du patient permet de préciser des détails qui lui échappent, car le cerveau
complète les éléments manquants (tête absente par exemple) qui pourraient perturber. Ce phénomène peut être à l'origine de ces certitudes qui faussent notre jugement, comme nous l'avons déjà évoqué dans le rêve de cette
jeune femme certaine d'avoir vu un monstre alors qu'elle n'avait fait que passer devant une bouche d'égout.
L'absence d'une seule perception peut totalement fausser la conscience : le sommeil paradoxal nous démontre chaque nuit cette capacité du cerveau à créer de toutes pièces un environnement où
tout semble réel : le sujet
privé de ses sensations corporelles évolue alors dans un
monde imaginaire dans lequel sa mémoire et son vécu émotionnel vont jouer un rôle de premier ordre.
Notre conscience apparaît donc dépendante du nombre et de la prise en compte des informations reçues, ainsi que de la
cohérence entre les diverses perceptions.
« On ne peut écarter des informations sans fausser
la conscience que l'on a de la réalité. »
A l'inverse, des impressions de contact ou de présence peuvent
sembler si réelles, qu'elles en arrivent à faire reconnaître par la conscience une présence avérée, alors que le sujet, s'il tourne la tête, peut constater qu'il est bel et bien seul.
Comme dans le cas du membre fantôme
(cf : conscience et interprétation), la sensation existe bien, la conscience de la sensation également, mais pas
la conscience de la réalité.
L'activation cérébrale
spontanée de zones sensorielles diverses a d'ailleurs pu être
observée chez les schizophrènes (cortex visuel pour des images ou auditif pour des voix) : un doute sérieux peut donc être soulevé lorsque la perception du sujet n'est pas validée par un observateur extérieur.
De même, les mondes virtuels peuvent altérer notre conscience lorsqu'ils nous font oublier que nous ne sommes plus dans la réalité. C 'est ainsi que les chercheurs ont montré qu'il est possible de
manipuler la conscience de notre unité corporelle par des techniques de réalité virtuelle. Ils y sont parvenus en créant des conflits entre les informations visuelles et somesthésiques que perçoit un individu sur son propre corps.
Si la conscience est la capacité d'avoir connaissance, elle demeure donc sujette à caution car l'individu seul n'a pas toujours la capacité de
faire la différence entre une illusion et la réalité. Nous connaissons la propension de l'hémisphère gauche à justifier ce qu'il ne comprend pas.
2 – Rapport des forces en présence :
Dans les processus de conscience, intervient aussi un rapport de forces
qui peut modifier la réalité : l'hémisphère gauche domine le droit, le cortex frontal est capable d'inhiber le système limbique. Notre conscience diurne est ainsi orientée par les circonstances environnementales et les habitudes, tandis que la nuit, notre capacité d'attention sera réorientée par d'autres nécessités.
Dans ce rapport de forces,
le langage se taille la part du lion.
Nous savons que de simples techniques de relaxation agrémentées de suggestion « votre corps est lourd, il est chaud » peuvent influer sur la conscience que le sujet a de ses perceptions. Au contraire, une simple relaxation sans parole, à l'écoute de ses sensations peut révéler des
distorsions (par exemple se sentir debout alors que l'on est allongé.).
Tout cela indique que
l'attention seule, même si elle est concomitante à la prise de conscience,
n'est pas suffisante pour assurer une conscience fiable : les informations données par notre corps doivent être en cohérence avec les informations données par notre vision.
Prenons le cas de la réalité virtuelle, si le sujet veut conserver la conscience qu'il est dans un univers virtuel, il devra continuer à
ressentir le port des lunettes qui donnent des images d'une autre réalité. Il devra également
se souvenir qu'il est entré dans une enceinte de jeu.
3 - Conscience et interprétation :
Les distorsions relèvent le plus souvent de pathologies, de défauts d'attention, ou d'ignorance favorisant les interprétations erronées (le Soleil est un dieu). Elles peuvent aussi être provoquées par des manipulations volontaires comme nous l'avons vu à propos des
circuits de l'influence.
Ainsi, bien que la fonction de la conscience soit de décrire l'état du monde à un instant donné, ce monde n'est pas obligatoirement le monde réel ; il est avant tout
celui que nous construisons à partir de nos perceptions et des croyances qui nous ont été
inculquées. Ainsi la sexualité, réalité intangible, pourra-t-elle être, selon les lieux et les époques, un bien créée par les dieux, ou un mal à l'initiative du diable.
Notre pensée non consciente qui exprime des besoins va orienter notre pensée rationnelle, laquelle reconnaît l'information, mais l'adapte aux impératifs sociaux.
Nous pourrions introduire ici deux notions : celle d'une
conscience primaire (ou inconscient)
qui reconnaît notre pensée rationnelle et l'informe, et celle d'une
conscience secondaire (ou rationnelle)
qui ne tient pas toujours compte de la précédente.
« Si l'inconscient informe, la raison décide de la validité de l'information. »
« Notre conscience rationnelle seule peut s'avérer insuffisante
pour prendre réellement connaissance de la réalité. »
Comment l'évolution s'est-elle organisée pour éviter ces distorsions ?
d – Conscience et validation de l'information :
La conscience de l'homme lui permet aujourd'hui d'évoluer dans les abstractions, mais, à l'origine, cette conscience avait une
fonction de survie. Pour cette raison,
elle ne pouvait tolérer les erreurs. C'est ainsi que l'évolution a mis au point et amélioré de nombreux systèmes pour confirmer la validité des informations obtenues.
1 - L'apparition et la diversification des sens - les cinq sens :
L'un des premiers éléments apparus pour valider l'information a été l'
apparition des sens. On peut considérer en cela que la
paramécie qui échappe brusquement à un danger possède un sens du toucher.
Mais alors que les premiers organismes mono cellulaires ne possédaient
que cette possibilité de contact pour reconnaître un danger ou un aliment, au fil du temps la nature a su remédier à ces lacunes. Très rapidement, avec l'apparition des organismes pluricellulaires, des stratégies se sont mises en place pour aboutir à une perception de plus en plus précise de l'environnement. C'est ainsi que de nouveaux sens sont apparus, complétant les précédents.
Les mammifères possèdent aujourd'hui
cinq sens indispensables pour acquérir des informations sur le monde qui les entoure. Chacun de ces sens pourra être essentiel en fonction des besoins de chaque espèce : pour l'aigle, ce sera la vue, pour la chauve-souris, l'ouïe ; mais les informations délivrées
devront être corroborées par celles en provenance de tous les autres sens.
Ainsi le singe qui se voit dans un miroir pour la première fois y verra-t-il certainement un
autre congénère. C'est seulement lorsqu'il aura pu toucher le miroir et le retourner qu'il pourra aboutir à une conclusion différente : celle de voir
une image qu'il reconnaîtra plus tard comme
sa propre image. Pour utiliser une comparaison plus actuelle, tant que l'on n'a pas traversé un hologramme ou une image 3D avec ses mains, il est tout à fait possible de les prendre pour des êtres ou des objets réels.
Un deuxième sens, comme celui du toucher, sera ici indispensable pour valider les informations apportées par la vue.
C'est ainsi qu'une simple « prise de connaissance » de l'environnement pour des raisons de survie a pu se transformer en ce que nous appelons aujourd'hui « conscience », c'est-à-dire un savoir qui pourrait être incertain, mais qui devient de plus en plus précis et sûr au fur et à mesure que d'autres sens
viennent confirmer les informations précédemment acquises.
Voir un fruit ne sera qu'une image si nous ne pouvons le saisir.
Le toucher permettra de confirmer son existence concrète, le sentir nous permettra de définir des catégories (agréable, désagréable), et le goûter déterminera définitivement s'il peut être consommé ou non.
Ainsi, l'étude de l'évolution montre l'
apparition progressive de sens de plus en plus nombreux, tous
complémentaires, et tous
indispensables pour valider de plus en plus finement les déductions d'une conscience qui n'est que l'aboutissement d'un processus de reconnaissance de cette information.
2 - Le doublement des systèmes de perception :
Le deuxième élément qui a favorisé l'apparition d'une
conscience de plus en plus fiable a été le doublement des systèmes. Deux yeux étaient plus sûrs qu'un seul, l'un des organes pouvant être perdu ou délivrer des informations incomplètes. Inversement, une information validée par les deux donnait une meilleure certitude. C'est ainsi que l'on retrouve cette symétrie chez tous les animaux, même les plus archaïques (yeux, antennes...), évolution symétrique facilitant également les déplacements (pattes, nageoires, ailes...) et apportant la capacité de se déplacer vers l'objet sur lequel l'attention s'était portée, afin de le découvrir et de l'intégrer dans l'ensemble des connaissances précédemment acquises.
3 - Le rôle du langage :
C'est alors qu'après l'association des cellules en organismes pluricellulaires il y a environ 2,1 milliards d'années, ces mêmes organismes pluricellulaires, après avoir évolué en reptiles et mammifères, semblent avoir éprouvé l'intérêt de se regrouper, formant des meutes ou des troupeaux : la vie sociale est apparue.
Le passage de l'animal solitaire à l'animal social s'est accompagné de l'apparition de nouveaux moyens de communication : la vue a permis de décrypter l'expression corporelle; quant à la communication sonore, elle a pu débuter par le cri de l'animal blessé, cri devenant cri d'alerte, et se chargeant ainsi d'une
connaissance à transmettre aux congénères comme au prédateur. C'est ce cri qui deviendra plus tard un langage, qu'il soit animal ou humain.
Une des dernières évolutions de la conscience s'est donc faite avec l'apparition du groupe dont les
connaissances vont être enrichies par l'apport de chaque membre.
Nous avons vu que le langage peut fausser les perceptions ou créer des illusions. Mais c'est grâce à lui que se multiplient les sources d'information complétant la diversification et le doublement des sens.
Car si un seul ou plusieurs sens suffisent à assurer la survie, ils peuvent être insuffisants pour qu'on puisse affirmer que ce qui est perçu est réel. Ainsi la patiente sentant une présence à ses côtés (Fig 362) et ne pouvant la vérifier par elle-même a besoin d'un avis extérieur (celui du médecin) pour rétablir la réalité des faits.
Le langage devient alors une pièce majeure de l'édifice de la conscience individuelle et collective dans la mesure où les apports de tous les locuteurs
se complètent et se confirment mutuellement.
Mais ce langage peut n'être pas toujours conforme à la réalité : le groupe se réfère alors à la majorité,
fonde ainsi une vérité et y trouve sa cohésion. Mais cette vérité peut se heurter à celles d'autres groupes, d'où l'apparition de conflits.
« A défaut d'avoir conscience de nos incohérences,
ce sont nos conflits qui nous les révèlent. »
4 - Du patchwork au tout cohérent :
Une
dernière évolution est aujourd'hui apparue dans le domaine de l'acquisition des connaissances, la richesse apportée par
la pensée scientifique : le fait d'admettre une conclusion
uniquement lorsqu'une expérience a pu être reproduite et ses
résultats validés par d'autres équipes internationales travaillant dans des domaines identiques ou différents. La justice partage la même démarche en se fiant aux
preuves et non aux assertions et aux certitudes.
Les parts d'ombre
demeureront des interrogations qui pourront être expliquées par des théories ou inspirer des hypothèses jusqu'à ce qu'une nouvelle évolution des connaissances et des techniques apporte les véritables réponses.
Ainsi l'évolution a-t-elle suivi tout au long des millénaires un cheminement cohérent pour développer la conscience et mettre sans cesse
en échec les imperfections précédentes. Un seul sens n'apportait pas toutes les données nécessaires ? Quatre autres sont venus le compléter. Un organe des sens pouvait être déficient ? La sûreté des informations était assurée par un autre.
Un seul être vivant ne pouvait acquérir qu'une seule expérience : grâce au langage, des milliers d'êtres semblables ont pu partager ce savoir, et l'écriture allait fixer ce nouveau mode d'échange pour un
nouveau progrès de la conscience.
C'est ainsi que l'évolution a abouti, complétant avec brio les données de la perception sensible par la logique du raisonnement.
Ce qui aurait pu ne demeurer qu'un patchwork informe est devenu un tout continu et cohérent.
« Chaque sens est indispensable
pour valider les informations que nous procurent les autre sens.
Mais pour qu'une multitude d'informations parcellaires reflète la réalité,
il est nécessaire qu'aucune ne se contredise. »
Toutefois, comprendre comment la Nature a développé la pensée jusqu'à aboutir à la conscience pour en faire un outil fiable ne permet toujours pas d'expliquer ce qu'est la conscience. Si l'on sait comment elle a évolué dans le monde du vivant, on ne sait toujours pas comment elle apparaît en l'homme, où elle se situe, et si elle est différente chez lui de ce qu'elle est dans le règne animal.