« Un être humain est un être humain au travers des autres êtres humains. »
Des origines à l'homme,
le développement du sens moral.
2 - Le sens moral au cours de l’évolution :
Le temps n’est plus où les animaux étaient considérés comme « amoraux » c’est-à-dire étrangers à la morale, et où seuls l’instinct et autres automatismes guidaient leurs actes.
Les primatologues ont été les premiers à reconnaître que nos « cousins » les singes possédaient eux aussi un sens moral.
A - Les approches des comportement moraux chez l’homme et les primates :
a - Les approches de la morale humaine :
La morale est généralement considérée comme un produit de la raison et de la logique. En étant conscient des nécessités engendrées par la vie en société, l’homme a élaboré des lois pour réguler les interactions : ces lois imposent des normes, comme la collaboration, l’équité…
Elles ont pour but de protéger l’ordre social car, dans la nature humaine, nombreuses sont les dérives génératrices de conflits. En cas de nécessité, la règle peut être imposée par la force.
Deux origines sont attribuées à ces lois morales.
- Au niveau des tribus ou des états, c’est le chef et ses conseillers qui élaborent les règles ; en ce qui concerne les religions, ce serait Dieu qui les édicte.
Dans ce cas de figure, on considère que la morale vient d’en haut.
- Une autre approche, issue de la psychologie, des neurosciences et de la biologie, considère que le sens moral trouve sa source dans la personne et sa capacité à ressentir le bien et le mal.
Ce n’est donc pas la société et ses incohérences comportementales qui indiquent, à celui qui gouverne, les règles qui doivent être adoptées, c’est la sensibilité innée du chef qui indique la marche à suivre, et c’est grâce à leur sensibilité innée que ses administrés perçoivent le bien fondé de ces règles.
Dans ce cas, on considère que la morale est construite du bas vers le haut.
Si, dans le premier cas, la règle établie peut respecter la justice et être approuvée de tous, elle peut aussi être injuste et imposée par la terreur. Dans le deuxième cas, au contraire, elle est initiée par des comportements, voire des sentiments qui ont mûri au cours des millénaires avant d’être inscrits dans les gènes puis dans les lois.
Si le sens moral de l’homme est assez bien connu pour avoir été étudié des siècles durant, que savons-nous des animaux à ce sujet ?
Certains semblent en posséder des éléments précurseurs. Mais peut-on parler de morale dans ce cas ? La question reste posée.
b – Les questionnements concernant les animaux :
Aujourd’hui, les scientifiques considèrent que l’usage de la force n’est plus la seule à régir les comportements animaux : on observe au contraire de multiples actes de tolérance, de conciliation et de partage, en particulier chez les primates. Par exemple, chez les macaques, les membres d'un groupe montrent plus de patience envers un individu handicapé.
Peut-on parler déjà d’une ébauche de sens moral ?
Les éthologistes ne s’accordent pas tous à ce sujet. Pourtant, des chercheurs, comme le primatologue Frans de Waal, considèrent que certains singes comprendraient les besoins des autres et pourraient sacrifier leur intérêt individuel au profit de la communauté : signe à la fois d’empathie et d’altruisme. Ces animaux posséderaient donc un certain sens moral.
Pourtant, peut-on vraiment être certains qu’ils ressentent la détresse des autres membres de leur communauté ?
Deux hypothèses sont en présence :
- Selon la première, ils ne feraient que réagir aux actes et aux signaux de détresse de leurs congénères sans intention consciente d’apporter de l’aide.
- Selon la seconde, ces animaux percevraient les émotions et les besoins de leurs congénères, et y répondraient. Ainsi, les grands singes, contrairement aux autres primates, seraient capables d'attribuer un état mental à autrui, ce qui expliquerait qu'ils consolent celui qui a subi une agression.
c – Les interprétations données à la notion de morale :
Si tous les chercheurs ne s'accordent pas pour attribuer une capacité morale aux animaux, leur désaccord provient de la définition donnée à la morale.
Selon le sociologue français Émile Durkheim (1858-1917), un système moral repose sur un ensemble de normes établies par les membres de la société.
Cette vision implique que la règle n’apparaît qu’avec la pensée rationnelle qui ne s’applique qu’à l’homme. Sa sensibilité émotionnelle n’est pas prise en compte.
Or, au cours de l’évolution, il se trouve que c’est l’inverse qui s’est produit : c’est seulement après la réponse émotionnelle que la pensée rationnelle vient codifier, par des règles, des comportements innés, pour organiser la vie en collectivité.
Affirmer que la morale repose sur des normes établies, c’est faire abstraction de la sensibilité et de la capacité d’empathie qui en résulte, apparues bien avant le langage.
On considère également qu’aucun animal ne possède un sens de la justice aussi développé que celui de l’homme. Le « jeu de l'ultimatum » l'illustre, qui consiste à donner à un individu une certaine récompense (de la nourriture s’il s’agit d’animaux), qu'il doit répartir à sa convenance entre un partenaire et lui-même. Si le partenaire accepte, les récompenses sont distribuées selon la répartition déterminée par le meneur. S'il refuse, personne n'obtient de récompense.
Dans une telle situation, les humains considèrent comme injustes les offres inférieures à 20 pour cent du total, et ils les refusent, privant ainsi de sa récompense le donateur trop avare. Pour eux, un partage non équitable doit être puni.
Au contraire, les chimpanzés et les bonobos acceptent toutes les offres, même si elles sont déséquilibrées. S'ils semblent se montrer plus rationnels du point de vue strictement économique, c'est qu'ils n'auraient pas les normes sociales qui amènent à considérer que le comportement de l'autre est injuste. C’est pour cette raison que de nombreux éthologistes considèrent que le concept de morale est étranger aux animaux et ne permet donc pas de comprendre leurs actes.
Qu’en est-il vraiment ?
On constate que si le singe accepte en fonction de ses besoins (celui de la nourriture), l’homme peut ne pas accepter un partage inéquitable lorsque l’argent entre en jeu. Réagirait-il de même s’il s’agissait de nourriture ?
On pourrait donc considérer que si le singe accepte en fonction de besoins réels, l’homme punit celui qui ne satisfait pas les besoins qu’il se crée.
De même, si le vol fait partie des interdits chez l’homme, peut-être est-ce la conséquence de sa tendance à s’approprier des biens qui, bien souvent, lui sont inutiles.
Le vol n’est pas un problème pour le chimpanzé, sauf si la chose dérobée lui est nécessaire. S’il possède un « sens moral », celui-ci ne se situe pas au niveau du bien possédé, mais à celui du bien nécessaire : son sens de l’équité y pourvoit, complété par sa tendance naturelle à la coopération.
La morale instituée par les sociétés humaines apparaît donc sous la forme de règles où l’égalité est instituée à la fois comme un droit moral et comme une obligation. Pourtant, la morale pourrait être examinée différemment, en se contentant de voir le cadeau fait par l’autre, et ressentir le plaisir qui en est retiré.
Alors, les animaux ont-ils une morale ? Nous ne pouvons le déterminer. Nous allons seulement observer le développement de ce sens en remontant l’évolution des comportements au sein des espèces animales.
B – Emotions, coopération et empathie au sein du monde animal :
Jusqu’ici, on ne parlait jamais de réaction émotionnelle chez l’animal. Pourtant, quiconque a eu un chien a fait l’expérience de sa capacité à ressentir les émotions de son maître et à exprimer ses propres besoins.
Les autres animaux ne sont pas en reste, et les recherches scientifiques, de plus en plus nombreuses, révèlent leur capacité d’empathie qui n’a rien à envier à celle de l’homme. Moyen de communication entre les espèces qui permet de reconnaître les intentions de l’autre, ce mécanisme est d’abord apparu dans le règne animal. Il s’est progressivement perfectionné pour atteindre son apogée chez les mammifères les plus évolués : chez ces derniers, il devient en plus une capacité d’adaptation à la vie sociale.
a - Les primates :
Nous l’avons vu précédemment [cf : ressentir ce que ressent l'autre], les neurones moteurs du cortex préfrontal d’un singe qui s’activent lorsqu’il se prépare à faire un mouvement, s’activent de manière identique quand le singe regarde un autre singe ou un être humain effectuer le même geste. La perception du mouvement est donc évoquée dans ce mécanisme.
Cependant, si le cortex frontal est une zone clé pour la capacité d’empathie, des études complémentaires suggèrent aujourd’hui que d’autres régions du cerveau pourraient fonctionner comme les neurones miroirs.
C’est le cas de certains neurones de l’insula et du cortex cingulaire antérieur qui présentent des réponses liées normalement à la composante affective de la douleur. La sensation survient alors en complément du mouvement perçu.
Toutefois, psychologues et biologistes sont partagés à cet égard : pour les psychologues, l’empathie est un processus cognitif élaboré qui consiste à se mettre mentalement à la place d’autrui. Il ne concernerait donc que l’espèce humaine. Pourtant, comme le remarquent les biologistes, se représenter mentalement le vécu intérieur de son vis-à-vis ne suffit pas pour éprouver de l’empathie à son égard. Le processus d’imagination peut être dénué de tout sentiment ou émotion. Or l’empathie exige une réponse émotionnelle.
En effet, lorsque nous réagissons à l’émotion de quelqu’un et que nous parvenons à comprendre l’expérience qu’il vit, cela suppose l’existence d’importantes capacités cognitives qui nous sont propres. Mais la connexion émotionnelle est survenue bien avant la représentation et la compréhension et, dans ce domaine, les animaux, même très éloignés de l’homme, n’ont rien à lui envier.
C’est ainsi que des expériences réalisées chez les autres mammifères suggèrent que la composante émotionnelle de ce processus était déjà à l’œuvre.
Nous avons précédemment appris que les enfants possèdaient un sens moral inné : ce dernier pourrait-il se retrouver chez d’autres espèces ?
1 - Les grands singes - chimpanzés, gorilles, bonobos :
- L’altruisme :
Que dire des grands singes ? On leur reconnaît aujourd’hui une capacité de communication par le langage, même si celui-ci est loin d’être aussi élaboré que celui de l’homme. Leur intelligence leur permet de fabriquer et manier des outils, et leur mémoire, similaire à celle de l’homme, la dépasse bien souvent.
Quelle pourrait être alors la spécificité de l’homme, pourtant autoproclamé « aboutissement de l’évolution » ? Philosophes et biologistes répondent : « Son sens moral ! »
Les animaux en seraient-ils dépourvus ?
Pourtant, des gestes de « consolation » sont régulièrement observés entre grands singes, ainsi que des scènes de partage et d'entraide.
C’est ainsi qu’après une dispute entre deux bonobos, il n'est pas rare qu'un troisième vienne consoler le perdant.
Ces gestes témoignent de leur capacité à percevoir les besoins d'autrui.
Ce réconfort, apporté à la victime, n’entraîne pas toujours un bénéfice personnel. Selon la primatologue britannique Zanna Clay, il est plus fréquent au sein d’une même famille et chez les jeunes.
Le même comportement a pu être observé chez des gorilles du zoo d'Atlanta.
Malgré tout, les chercheurs restent divisés sur le sens à donner à ces gestes : s’agit-il d’un véritable sentiment de compassion, d’un espoir de réciprocité, ou d’un comportement purement instinctif et automatique ?
Le primatologue Frans de Waal a pu observer des comportements similaires chez les chimpanzés : après une dispute entre deux chimpanzés, un troisième qui a assisté à la scène s’approche du perdant et le prend dans ses bras, comme pour le consoler.
De nombreux primatologues interprètent ces comportements comme de l'empathie et de l'altruisme, Pour eux, les racines du sens moral ne sont pas apparues avec l’homme, mais elles plongent bien plus loin dans nos origines généalogiques. Il est en effet possible de les retrouver dans les différentes branches de notre arbre commun.
Arbre phylogénétique des primates.
Malheureusement, ce point de vue est difficile à démontrer car, contrairement à ce qui peut être réalisé avec l’homme, les expériences sur des sujets en captivité comportent de nombreux biais : comment observer dans la nature des comportements qui, sans aucun doute, coûtent à l'acteur et bénéficient au récepteur ?
- Le partage :
Par exemple, le docteur Brian Hare, de l'université de Duke, a pu observer que le bonobo, un cousin du chimpanzé, placé dans une cage avec de la nourriture, préfère partager sa nourriture avec un congénère dont il va ouvrir la porte de la cage voisine.
Un comportement similaire a été observé chez un orang-outan du Phoenix Zoo de la ville de Miyazaki, au Japon. Depuis quelques années il partage sa nourriture avec les chimpanzés d’une cage voisine.
Pourtant, ce geste interroge lorsqu’il se produit en captivité.
Plus intéressantes sont les recherches menées par les anthropologues américains David Watts et John Mitani qui étudient les chimpanzés du parc national de Kibale, en Ouganda depuis plus de vingt ans. Au cours de cette longue période, ils ont pu assister à une scène de partage qui revient régulièrement : après avoir chassé ensemble le colobe bai , un petit singe qui figure parfois à leur menu, l’un des primates se charge de la proie, et les autres lui quémandent une part en tendant le bras. Même le mâle dominant va quémander sa part.
Alors que trois chimpanzés dépècent le colobe bai qu'ils viennent de tuer, une femelle vient quémander une part.
Le propriétaire de la proie doit procéder lui-même à la distribution, mais il peut aussi se contenter de laisser ses congénères se servir.
Ainsi, après avoir participé à la chasse, les grands singes partagent volontiers les fruits de leur coopération, même entre clans différents, montrant par ce comportement leur sensibilité à l'équité.
D’autant que celui qui partage n’agit pas en dominant qui se sert en premier : le partage a lieu dans les minutes qui suivent l'obtention de la viande. Il prend donc en compte les besoins de ses compagnons.
Après avoir enlevé la tête d'un céphalophe, une femelle partage des morceaux de viande avec sa progéniture et des femelles adultes.
« Se procurer cette nourriture demande des efforts, et les chimpanzés n'en font évidemment pas cadeau à n'importe qui. » précise John Mitani.
Le simple partage peut aussi se muer en échange de bons procédés. La viande peut ainsi être échangée contre des rapports sexuels avec des femelles, ou précéder des séances d'épouillage, comme cela a été constaté dans le parc national de Taï, en Côte d'Ivoire.
Pour la primatologue américaine Sarah Brosnan, il ne saurait y avoir de coopération sans une répartition équitable des fruits du travail. Lorsque deux chimpanzés chassent ensemble, si l'un d’eux est défavorisé, il risque de s’allier avec un autre partenaire. On peut donc en conclure que ces grands singes seraient, tout comme nous, sensibles à l'iniquité, une des composantes du sens moral.
En 2003, Sarah Brosnan a pu vérifier ce comportement chez les capucins : ces derniers devaient donner un jeton à l'expérimentateur pour obtenir de la nourriture. Selon la couleur du jeton, le capucin et son voisin de cage avaient ou non la même récompense. Résultat : les singes refusaient des morceaux de concombre si leurs voisins obtenaient de bien meilleurs grains de raisin.
Pourtant la démonstration de l'attente d'une réciprocité n'est pas convaincante pour tous les chercheurs, des failles peuvent exister dans les expériences.
En effet, dans leur milieu naturel, les animaux choisissent leurs partenaires, alors qu’en laboratoire ils leur sont imposés, précise Sarah Brosnan. De plus, les tests ne durent que trente à soixante minutes, alors qu'en forêt les relations se nouent sur de longues périodes. Cela peut expliquer les discordances entre les données de terrain et de laboratoire.
D’autre part, en étudiant les comportements animaux, l’homme utilise sa propre logique et il appuie ses déductions sur ses connaissances. Pour comprendre l’empathie animale, peut-être lui serait-il alors utile de fonder ses déductions sur sa propre capacité d’empathie ? Mais, dans ce cas, il se heurterait à l’aspect subjectif de sa sensibilité.
Retrouvailles.
L’adoption :
D’autres comportements interrogent. Depuis une trentaine d'années, dans le parc de Taï, en Côte d'Ivoire, le primatologue Christophe Boesch a constaté l’adoption d'une dizaine d'orphelins par des mâles, ce qui va à l’encontre de ce que l’on connaissait de leurs comportements.
Mais s'agit-il d'altruisme ou d'un comportement inné préservant la cohésion de groupe ?
L’altruisme :
Des expériences menées dans le laboratoire de l'université de Kyoto ont permis de répondre à cette question. Pour cela, deux chimpanzés étaient placés dans des salles séparées par une vitre, ils ne pouvaient communiquer que par une minuscule fenêtre. L’un d’eux, après avoir accompli une tâche, avait droit à un verre de jus d'orange mais, pour l’attraper, il avait besoin d’un objet dont disposait son congénère dans la pièce voisine : soit une canne si le verre était loin, soit une paille si le verre était proche. Ce dernier devait comprendre la situation et choisir le bon objet parmi les sept mis à sa disposition.
Le primatologue Shinya Yamamoto et ses collaborateurs ont pu constater que, le plus souvent, les chimpanzés testés ont bien donné à leur voisin le bon outil.
Dans une autre expérience, les chercheurs ont rendu la vitre de séparation opaque. Ils ont alors pu constater que si les singes continuaient de passer en priorité canne et paille, ayant a priori saisi ce que l'on attendait d'eux, ils donnaient indifféremment l'un ou l'autre.
Dans la première expérience, les singes avaient donc bien compris les besoins de leur partenaire et éprouvé l’envie de les satisfaire, ce qui renforcerait l’hypothèse de l’altruisme.
Les chimpanzés peuvent s’entraider et fournir l’outil nécessaire à leur congénère (ici une canne).
L’altruisme avec les étrangers :
Cet altruisme se retrouve même à l’égard des autres espèces : dans une expérience menée en 2013 par l'anthropologue américain Brian Hare et son étudiant chinois Jingzhi Tan, des bonobos de la réserve de Lola Ya Bonobo (en République démocratique du Congo) devaient choisir entre nourrir l'un des leurs ou un singe d’une autre espèce.
Un premier dispositif comprenait 3 cages disposées côte à côte et séparées par des portes. Dans la cage du milieu, étaient disposées des tranches d'ananas et de banane. Le bonobo qui pénétrait dans cette cage pouvait alors choisir d'ouvrir les portes qui le séparaient de ses deux voisins : un bonobo qu'il connaissait bien et un inconnu.
On constatait alors que s’il ouvrait généralement la porte à ses 2 voisins, la première qu’il ouvrait était souvent celle du primate qu’il ne connaissait pas.
Dans un autre dispositif ou il n’y avait que 2 cages et un seul voisin, là encore le bonobo ouvrait plus facilement la porte à l'étranger. Ensuite, une fois réunis, les primates avaient souvent des rapports sexuels.
Pour comprendre leurs motivations, un 3e dispositif était mis en place, interdisant tout contact physique. Cette fois, les grands singes étaient séparés par une cage où se trouvait la nourriture. Le bonobo testé pouvait permettre à son partenaire d'y accéder, en ouvrant la porte de sa cage grâce à une corde.
Deux cas de figure se présentaient alors :
- si le bonobo ne pouvait accéder à la nourriture, il ouvrait la cage de son voisin avec la corde.
- s’il pouvait y accéder, il mangeait sans se préoccuper de son voisin.
Ainsi, le bonobo se montre bien plus altruiste s’il peut rencontrer physiquement son congénère.
Comment se construit cette morale au cours de l’évolution ?
2 - Les petits singes :
Cette tendance au partage se double d’une aversion naturelle pour l’iniquité.
Les primatologues ont ainsi constaté que si, pour une tâche similaire, un singe capucin reçoit une récompense de moindre valeur que celle que celle donnée à un de ses congénères, il devient agressif et préfère refuser la récompense.
Le sentiment d'injustice chez le capucin.
Peut-on déduire de tous ces exemples que les primates ont un sens moral ?
Certes on observe que les primates, comme tout animal social, sont concernés par les rapports entre individus au sein du groupe : le partage des ressources, la réconciliation, le respect de la hiérarchie…
Toutefois, si leur comportement individuel répond aux critères de la morale, il semble leur manquer un autre niveau, propre à l’espèce humaine : le souci de la communauté. C’est cet élément qui amènerait l’homme à se préoccuper de l’harmonie et de la coopération au sein du groupe, ce qui justifierait les règles de conduite.
Pourtant, un examen plus approfondi montre, qu’à l’intérieur d’un groupe restreint dont tous les membres se connaissent, hommes et singes possèdent le même souci communautaire.
Rôle du mâle alpha et souci communautaire.
Chez l’homme, les groupes importants dont les membres, trop nombreux ou trop éloignés, peinent à se connaître, doivent être structurés par des lois bien souvent coercitives sous peine d’observer des affrontements. Les éleveurs de volailles connaissent bien le problème : élevées en groupe restreint et en extérieur, la paix est de rigueur, mais des poules maintenues dans des cages à 18 par m2 n’échappent pas aux conflits. L’ébecquetage semble apporter une réponse.
De même, comme nous avons pu le voir l'éloignement réduit la sensibilité indispensable aux actes moraux.
Toutes les espèces ont la capacité de percevoir le danger. L’évolution a perfectionné ce sens chez les mammifères sociaux en leur donnant la capacité de ressentir les besoins de l’autre : l’empathie. Cette capacité, qui se révèle dès l’instauration de la famille, permet d’assurer les soins parentaux avant même de développer les relations au sein du groupe.
Cette capacité va même, en l’absence de rivalité, jusqu’à favoriser les relations entre groupes, voire entre espèces différentes.
C'est ainsi que si les hommes peuvent venir en aide à des animaux, la réciproque existe aussi.
Toutefois, tout comme l’homme, l’animal qui a subi un préjudice sera peu porté à aider : la sauvegarde individuelle prime alors.
Pourtant, le scepticisme subsiste encore chez certains experts quant au fait que les animaux puissent éprouver des émotions complexes et avoir des responsabilités sociales. Le professeur Frans de Waal, pense de son côté que les animaux n’ont pas un sens développé et raisonné du bien et du mal comme les hommes ». Pour lui la différence vient du fait que la moralité humaine ne s’est pas fondée sur l’expérience individuelle comme chez l’animal : elle proviendrait de l’ensemble des idées et des sentiments propres à l’homme.
De fait, si, chez les uns et les autres, le sens moral repose sur les mêmes bases émotionnelles, l’homme n’a pas le même sens moral que les autres animaux : ces derniers n’ont pas les règles écrites qui orientent (mais peuvent aussi figer) les comportements humains.
Les comportements collectifs des animaux répondent en effet aux règles d'un groupe inséré dans son environnement.
De son côté, la pensée humaine peut figer ses connaissances dans tous les domaines, y compris celui de la morale. Ainsi, dans le domaine de la religion, la morale, même enseignée par un Dieu tout puissant et berger de son peuple, va avoir de la peine à s’imposer.
Pourquoi de telles incohérences ?
On constate que si l’homme a bien un sens raisonné du bien et du mal, il a en grande partie perdu la perception sensible de ce qui est bon ou mauvais pour lui et pour le monde dans lequel il vit. Il sait ce qui est bon ou mauvais, mais, comme c’est le cas pour les criminels, il ne le ressent plus dans son corps et son cœur, ce qui l’empêche de s’y conformer. Il connaît bien les règles qui devraient conditionner son comportement, mais il ne possède plus « le sentiment » moral, seule force intérieure qui permet de résister aux pulsions. S’il ressentait l’amour, il éprouverait immédiatement l’aversion de tuer et suivrait les enseignements de son dieu qui l'incite pourtant à aimer son prochain et à respecter sa création. L'homme, s’il a trop souffert et rend l’autre responsable de sa souffrance, agit bien souvent en contradiction avec les règles collectives.
Que ressentons-nous vraiment lorsque nous vivons ce sens moral ? Un bien-être accompagné d’un sentiment de plénitude intérieure. L’empathie y rajoute le plaisir de la rencontre, auquel s'ajoute un sentiment profond de communion avec l’autre, quel qu’il soit.
Quant au monde environnant, il est source d’un émerveillement sans bornes.
Ce sentiment existait bien avant la parole et le raisonnement, et il surpasse tout raisonnement discursif sur le monde… Les animaux en seraient-ils dépourvus ?
« Etre capable d'empathie, c'est être capable de ressentir ce que ressent l'autre,
qu'il soit homme ou animal. »
b - Les espèces animales plus éloignées :
Jusqu’au siècle dernier, l’homme était la seule espèce jugée capable d’éprouver des émotions complexes. Aujourd’hui, la connaissance des autres espèces s’est affinée au point de leur reconnaître la capacité de distinguer ce qui est « bien » de ce qui est « mal ».
Les "bonnes mœurs" seraient-elles ancrées dans le cerveau de tous les mammifères, au même titre que l’instinct ?
Les loups :
Si les chimpanzés montrent leur sens de la justice en attaquant ceux du groupe qui transgressent les codes de bonne conduite, les loups dominants font eux aussi preuve d’un certain sens de l’équité : c’est ainsi qu’il leur arrive d’échanger leurs rôles avec des loups de rangs inférieurs, leur manifestant leur soumission et leur permettant même de les mordre.
Les chiens :
Toutefois, si l’on peut observer le comportement des loups au sein de la meute, il est difficile de déterminer si leurs actes répondent à ce que nous qualifions de sens moral. Le chien, plus proche de l’homme, peut être confronté à des situations au cours desquelles le sens moral de l’homme est mis en jeu. Le chien peut-il réagir en fonction de ce sentiment ?
Une étude menée par des chercheurs de Kyoto (Japon) et publié dans la revue Neuroscience & Biobehavioral Reviews tend à montrer que les chiens exprimeraient plus de retenue envers les humains moins respectueux de leur prochain.
Dans cette étude, le chien est mis en présence de son maître et de deux inconnus. Tandis que le maître essaie d'ouvrir une boîte, l’un des inconnus lui offre son aide tandis que l’autre la refuse. Lorsque les inconnus proposent alors une friandise au chien, celui-ci accepte plus volontiers celle proposée par la personne qui a aidé.
Les psychologues de l'université de Kyoto en ont conclu que les chiens savent discerner le bien du mal dans les actions menées par des membres d’une autre espèce.
Un comportement similaire a pu être observé dans une autre situation où les chiens montrent leur préférence pour les attitudes généreuses, par exemple lorsqu’un inconnu donne de l'argent à un sans-abri.
Les chiens seraient donc à même d'émettre des jugements sociaux, similaires à ceux dont font preuve les enfants dans leur plus jeune âge. Ce pourrait bien être un indice du caractère inné des bases de la morale, car acquis très tôt au cours de l’évolution des espèces.
Tous ces liens qui s’établissent entre membres d’une même famille, d’une même espèce mais aussi entre espèces différentes peuvent-ils inclure le deuil observé maintes fois par les éthologues ?
Chez les primates, les femelles portent leurs morts. Les éléphants reviennent sur les lieux d’un décès. Les cétacés maintiennent leurs petits en surface. Lorsqu’il repère un congénère mort, le corbeau en appelle d’autres par ses cris, tous se rassemblent alors autour du cadavre et participent par leurs propres cris.
Sans que l’on n’ose encore parler de sens moral, on peut toutefois imaginer qu’à un certain stade de l’évolution le vécu intérieur qui rattache à l’autre peut être interprété comme une émotion comparable à celle vécue par l’homme. D’ailleurs, chez tous les mammifères, cette émotion n’est-elle pas sous l’influence d’hormones ?
Les souris :
Une autre étude a pu montrer que lorsque deux souris sont soumises à la même douleur, celle qui y est soumise en second se tord davantage si elle a vu sa voisine agir ainsi. Ce mimétisme ne s’observe qu’entre souris qui se connaissent. De plus, les souris mâles se montrent moins sensibles à la douleur lorsqu’ elles voient souffrir un mâle étranger, comme l’a constaté Dale Langford psychologue à l’université McGill (Canada).
Ces résultats rappellent une autre étude menée chez l’homme en 2006 par la psychologue Tania Singer de l’institut Max Planck de Leipzig. La souffrance d’autrui active, chez l’être humain, les régions cérébrales de la douleur, si victime et spectateur ont préalablement coopéré.
La souffrance d’un ami est vécue à l’identique.
Cependant, si le spectateur a, auparavant, été traité injustement, ce sont les centres du plaisir qui sont activées à la vue de la douleur éprouvée par celui qui l’a maltraité.
La souffrance d’un ennemi est vécue comme un plaisir.
Chez les souris, bien qu’il n’y ait pas de certitude qu’elles ressentent des émotions identiques à celles de l’homme, il est admis que ce phénomène met en jeu les neurones miroirs.
Les rats :
Au fil des recherches qui leur sont consacrées, les rats ne cessent de repousser la barrière des capacités qui leur étaient prêtées.
Nobuya Sato et ses collèges de l'université Kwansei Gakuin (Japon) ont étudié les rats Sprague-Dawley, des rats dociles et faciles à manipuler, pour voir si leurs capacités sociales comportaient la capacité d’apporter leur aide à des congénères sans en tirer un quelconque bénéfice.
Rat Sprague Dawley.
Dans un récipient transparent comprenant deux compartiments –l’un rempli d'eau et l’autre vide - les scientifiques ont déposé deux rongeurs, un dans chaque compartiment. Le rat dans l'eau pouvait se noyer si son compagnon ne l’aidait pas. Le rat au sec, pouvait le sauver s’il ouvrait une porte dans la cloison, qui lui permettrait de quitter son bassin.
Pour y parvenir, le rat dans le compartiment sec devait découvrir comment se servir de la clenche pour ouvrir la porte, avant de venir en aide à son camarade.
Les chercheurs ont pu constater que l'animal venait presque toujours en aide à son congénère et qu'au fil des essais, il mettait de moins en moins de temps à ouvrir la porte. De plus, s’il se dépêchait de secourir son compagnon, il ne le faisait que si ce dernier était réellement en danger.
Enfin, lorsque les chercheurs inversaient les rôles et que le rat en difficulté prenait la place du sauveteur, il accourait bien plus vite au secours de son compagnon. Alors, comportement réflexe inné ou empathie ? Il était difficile d’avoir un avis tranché.
Pour y parvenir, les chercheurs ont mis le rat sauveteur face à un dilemme : faire le choix entre une récompense chocolatée et le sauvetage de son congénère plongé dans un bassin plus profond que précédemment.
Pour cela, ils ont entraîné 5 rats (lot 1) à ouvrir la porte pour délivrer leur compagnon en difficulté, et 5 autres (lot 2) à ouvrir une porte sur un compartiment où étaient entreposées des céréales au chocolat.
Puis les couples ont été testés dans une boîte à 3 compartiments comportant un compartiment vide (où étaient successivement placés les rats entraînés) entouré par un compartiment avec de l'eau et un avec les céréales.
Les rats du premier lot ont bien plus rapidement ouvert la porte pour libérer leur compagnon que les rats du deuxième lot. Chez ces derniers, moins de la moitié des individus a porté secours à son congénère, mais cette proportion a été supérieure à celle des rat qui ont préféré la récompense dans le premier lot. L'apprentissage n'a donc pas été le facteur déterminant de leur comportement : non seulement le rongeur semble considérer la vie d'un autre le plus souvent plus importante que la nourriture, mais 25% d'entre eux ont même partagé la récompense obtenue.
Les cétacés :
Comme c’est le cas pour l’Homme, le cerveau des dauphins et des baleines possède des cellules miroir, ce qui les amène à percevoir les besoins des autres espèces. « On observe des dauphins qui aident les hommes à échapper aux requins, ou des éléphants qui aident les antilopes à s’échapper d’enclos » .
Selon le professeur Marc Bekoff, malgré la croyance selon laquelle seuls les hommes ont une morale, force est de constater que les preuves s’accumulent pour nous apprendre que ce n’est pas le cas.
Les oiseaux :
Réanimation.
Traversée de route.
c - Les insectes :
Avec un volume de 1,5 mm³, le cerveau du rat semble tout à fait capable, dans des conditions de survie, de rivaliser avec les 1130 cm³ du cerveau humain. Qu’en est-il alors des 0,5 mm³ du cerveau de la fourmi, des 0,3 mm³ de celui de la mouche ou du 1mm³ de l'abeille ? Malgré leur petitesse, le cerveau des insectes pourrait-il lui aussi nous étonner ?
Les fourmis :
A un stade reculé de l’évolution (plus de 100 millions d’années), les fourmis dévoilent elles aussi leur intelligence.
Cette intelligence est étudiée, (tant au niveau individuel que collectif) par Antoine Wystrach et Audrey Dussutour, deux éthologistes du Centre de Recherches sur la cognition animale à l’université Paul Sabatier de Toulouse.
Ces chercheurs ont montré qu’une intelligence collective capable de gérer toutes les interactions entre les individus et leur environnement émerge d’une colonie composée de plusieurs milliers d’individus. Par exemple, c’est collectivement que les fourmis exploitent des règles simples pour adapter leurs déplacements aux contraintes du milieu, évitant ainsi les embouteillages.
Création de pistes.
Antoine Wystrach et ses collègues ont également mené des expériences sur des fourmis de l’espèce Cataglyphis velox vivant dans le désert andalou : ils ont constaté qu’après avoir parcouru une certaine distance, une fourmi peut lâcher sa charge, se retourner, observer son environnement en alignant son corps dans la direction de la route puis reprendre son chemin dans la bonne direction. Avec un cerveau de seulement 100 000 neurones, ces insectes savent parfaitement utiliser des repères environnementaux pour ne pas s’égarer.
En Ecosse, le zoologiste George McGavin et le biologiste Adam Hart étudient eux aussi le comportement de fourmis et tentent de comprendre leur organisation.
En effet, malgré leur nombre et une intelligence qui semble limitée par la taille de leur cerveau, les fourmis se déplacent et agissent avec une étonnante coordination. De plus, elles montrent un fonctionnement coopératif et altruiste impressionnant.
Leur fonctionnement communautaire leur a permis de s’adapter à quasiment tous les territoires grâce à des aptitudes en travail collectif dans des domaines aussi divers que la cueillette, l’agriculture, la chasse ou l’élevage.
La fourmilière s’organise ainsi en groupes spécialisés aux fonctions bien établies : le rôle de la reine se limite à pondre pour assurer la pérennité de la colonie, les soldats assurent la sécurité de la fourmilière en patrouillant dans les salles, et les ouvrières effectuent sans interruption leurs tâches respectives. Pourtant aucune hiérarchie n’existe chez les fourmis : la reine elle-même n’exerce aucun commandement.
Alors comment ces minuscules insectes organisent-ils leur vie communautaire ?
La principale forme de communication entre fourmis se fait grâce à des éléments chimique, les phéromones libérées par diverses glandes corporelles.
Leur intelligence collective coopérative leur permet d’aboutir à de multiples actions de groupe, comme :
- tendre une embuscade puis se saisir de leur proie prise au piège,
- créer une passerelle vivante,
Pont vivant de fourmis.
- Lorsque les fourmis légionnaires déplacent leur nid, les soldats forment une haie pour protéger le convoi d’ouvrières.
- Pour survivre aux inondations, les fourmis de feu d’Amazonie ont développé la capacité de former sur l'eau des radeaux vivants.
Passerelle flottante.
L’évolution les a même dotés d’un organe répondant à une exigence altruiste, et que l’on appelle le jabot social. C’est ainsi qu’elles peuvent mettre une partie de la nourriture qu’elles ingèrent dans un estomac secondaire, qui sert uniquement à nourrir les membres de la collectivité qui en éprouvent le besoin. Le stimulus qui aboutit à ce mode de transfert de nourriture (la trophallaxie) peut être considéré comme une ébauche de l’empathie.
Si, dans le cas de la fourmi, il serait excessif de parler de compassion à l’égard d’autrui, force est de constater qu’à ce stade précoce de l’évolution de la vie en collectivité, les fourmis ont déjà les outils pour aider leurs semblables et l’élan naturel, parfois absent chez l’homme, pour les utiliser.
La gestion des maladies et des épidémies :
L’organisation du travail se fait en coopération, ce qui n’est pas le seul élément qui rapproche les fourmis des hommes : elles sont également passées maîtres en gestion d’épidémie et pourraient même nous servir d’exemple.
Dans une colonie de fourmis, seulement 10 % sortent du nid à la recherche de nourriture pour l’ensemble de la communauté. Ce sont donc elles qui vont être en contact avec des agents pathogènes et infecter la colonie.
Aussi, lorsque l’une d’elles tombe malade, elle a tendance à s’isoler et ne plus se déplacer de chambre en chambre. En même temps les fourmis saines ont tendance à s’écarter des individus malades et vont protéger les larves et la reine en les enfonçant plus profondément dans le nid, comme l’explique Audrey Dussutour (chercheuse au Centre national de la recherche scientifique à Toulouse, spécialiste des fourmis et des organismes unicellulaires).
Construction d'une fourmilière.
Lorsque la maladie risque de se propager, les fourmis malades peuvent même quitter la colonie si elles sentent qu’elles vont mourir. Les individus vont alors former des petits groupes connectés entre eux, mais plus distants les uns des autres, un peu comme des familles qui se regroupent en évitant les contacts avec l’ensemble de la société.
Soins aux blessés.
Chez les fourmis, le lien qui les unit ne passe pas par des connexions nerveuses, mais par des émissions permanentes de phéromones. Si chacune peut agir individuellement, toutes sont en relation par ce lien qui crée une sorte de conscience collective. La fourmilière ressemble ainsi, selon la description qu’en fait l’écrivain français Bernard Werber, « à un organisme dont les cellules ne sont pas réunies dans un sac comme nous le sommes dans notre peau, mais restent soudées par la communication ».
C’est donc grâce à une intelligence basée sur la coopération et l’empathie, que ces sociétés constituées de milliers d’individus peuvent vivre et travailler en parfaite harmonie.
Les mouches :
Chez ces dernières, la réaction de fuite face à un danger n’est-elle qu’un réflexe, ou pourrait elle être considérée comme le résultat d’une émotion de peur ?
Si des insectes comme le bourdon, l’abeille ou la fourmi ont les moyens d’un comportement social de collaboration et d’aide, la science ne peut toujours pas déterminer s’ils éprouvent les émotions qui sous tendent notre sens moral comme on l’a vu chez l’enfant.
Aussi, à défaut de savoir si les insectes sont capables d’éprouver des émotions, des chercheurs de l'université de Pasadena (États-unis) ont pu déterminer que des mouches présentaient tous les signes de la peur, ce qui indiquerait une émotion primitive à l’origine de la fuite.
Pour parvenir à cette réponse, l'équipe de William T. Gibson a cherché chez la drosophile ces traces d’émotions primitives, et en particulier :
- l’évolutivité : face au danger, la réponse de l'animal est graduelle et augmente avec le nombre d'éléments perçus comme menaçants,
- la valence : qui est l'impact négatif ou positif de l'émotion sur l'organisme,
- et la persistance : la présence de traces d'émotions alors que l'alerte est passée.
Pour cela, 10 drosophiles ont été soumises à la menace d’une ombre qui les survolait. Cette ombre passait plus ou moins souvent et à des intervalles plus ou moins longs, déterminés par les chercheurs.
En relevant les réactions des mouches isolées ou en groupe en fonction des passages de l’ombre, les chercheurs ont pu déterminer que les émotions primitives sont bien présentes.
Dans une autre expérience, les chercheurs ont proposé de la nourriture à des mouches qui avaient jeûné durant 24 à 60 heures, toujours en les soumettant à la menace de l’ombre. Ils ont alors pu constater que le besoin de se nourrir entre en compétition avec celui de fuir.
Sans assimiler pour autant le comportement des mouches à de la peur ou de l'anxiété, les chercheurs ont pu en déduire qu’elles répondent bien au danger par des réactions émotionnelles.
Si l’on peut s’étonner de tels résultats obtenus avec des insectes possédant si peu de neurones, le défi de la science, aujourd’hui, est de comprendre quel circuit minimal de neurones sous-tend une capacité cognitive donnée. Pour autant, le neurone est-il indispensable à l’intelligence ? Celle-ci dépend-elle du neurone ou de la simple cellule ? Auquel cas la seule différence entre les deux serait l’acquisition d’appendices (axone, dendrites) facilitant la transmission de l’information, tout comme l’homme a développé les réseaux téléphoniques pour organiser sans délais les comportements collectifs.
Comment s’organisent alors les associations de cellules qui, bien qu’ayant construit des édifices qui dépassent l’entendement, ne se sont pas encore dotées de spécialistes en communication à distance ?
d - Les végétaux et la symbiose :
Durant des décennies, et inspirées par la vision de Darwin (" Partout, la nature entière est en guerre, chaque organisme avec un autre, ou avec la nature extérieure "), toutes les disciplines des sciences du vivant n’ont pris en compte que la compétition entre les espèces : le lion mange la gazelle, la bactérie se délecte d’un organisme. En se battant pour une place au soleil, la plante n’a pas échappé à cette vision.
Aujourd’hui, avec les nouveaux moyens dont elle dispose, la science est en train de modifier son regard sur le monde : si elle n’oublie pas la compétition, elle s’attache désormais à la coopération.
Quelle que soit la forme de vie observée, à commencer par les sociétés humaines, coopération et compétition, compassion et sauvagerie vont de pair. La biologie animale que l’on découvre aujourd’hui révèle autant d’entraide que d’égoïsme, d’alliances que de conflits.
Et voilà que la coopération au sein d'une même espèce n’est pas propre aux vertébrés dotés d'un cerveau très développé, ni même aux insectes !
C’est ainsi que la Canadienne Suzanne Simard a découvert que les vieux arbres effectuaient d'importants transferts d’éléments nutritifs vers leur progéniture qui croît à leur pied. Cela permet aux jeunes de se développer normalement malgré l’absence de soleil sous la ramure. Ces comportements que l’on croyait réservés aux espèces animales ont donc été sélectionnés et conservés par l’évolution bien avant l'apparition de ces espèces : ils se montrent en effet les plus à même d'assurer leur survie.
e – Les bactéries :
Chez elles aussi on ne cesse de découvrir de nouveaux phénomènes de coopération. Par exemple, elles perçoivent la taille de leur communauté, ce qui leur permet d’adapter leurs comportements : cela va de la reproduction, à l'émission de signaux d’alerte à l’adresse de leur entourage, ou de molécules de défense.
Ver riftia près d'une source hydrothermale.
Dans les milieux les plus hostiles, les organismes les plus simples nous révèlent aujourd’hui cette entraide pour la survie : c'est avec la découverte des sources hydrothermales, dans les années 1980, qu’une véritable prise de conscience de ce phénomène a commencé. Ces milieux hostiles, situés parfois à des milliers de mètres de profondeur sous l’océan, recèlent des mécanismes de survie surprenants.
En effet, dans ces lieux où règnent des pressions écrasantes, des températures et une acidité extrêmes, où les ténèbres interdisent la photosynthèse, la seule énergie disponible se trouve dans des composés chimiques comme le soufre : seules quelques espèces de bactéries sont capables de l'extraire.
Aussi, une multitude d’organismes (mollusques, crabes, vers…) ont-ils incorporé ces bactéries, allant jusqu'à créer des organes pour les accueillir.
La palme de la symbiose revient au ver Riftia, qui peut atteindre 2 m de longueur !
Une nouvelle question se pose alors : les organismes ont-ils intégré des bactéries étrangères, ou ces bactéries, après s’être adaptées aux conditions environnementales et créé des colonies, ont-elles créé de nouveaux organismes avant de s'y spécialiser ?
C – Les relations entre espèces différentes :
Ainsi, après s’être intéressés aux comportements sociaux entre individus d'une même espèce, les évolutionnistes ont porté leur attention sur les relations entre espèces différentes.
Coopération entre espèces.
Aujourd’hui, c’est vers les relations entre organismes monocellulaires et organismes complexes que se porte l’intérêt des spécialistes.
La symbiose, comme nous venons de le voir, est une relation où chacun, cellule et organisme, est gagnant, et où la notion d’exploitation de l’autre est inexistante. Pourrions-nous dire qu’à cette étape de l’évolution, cette notion n’a pas encore été inventée ?
La symbiose se retrouve ainsi à tous les niveaux de l’échelle du vivant, nous-mêmes n’échappons pas à cette alliance avec les bactéries et virus de notre flore intestinale.
La biologiste américaine Lynn Margulis ne nous a-t-elle pas appris, dès les années 1970, qu’elle se retrouve au cœur même de nos cellules : toutes les cellules animales hébergent de petites « centrales énergétiques », les mitochondries, qui étaient à l'origine des bactéries symbiotiques. Chez les plantes, les mitochondries qui permettent la photosynthèse ont une origine analogue.
Ainsi, dès les premiers stades de l’évolution, apparaît ce qui pourrait constituer la première caractéristique du sens moral : la coopération.
Cette coopération débute par des associations au sein de colonies de cellules. Elle va se perfectionner dans les organismes où coopèrent les cellules spécialisées.
Si l’on examine alors les êtres vivants, il semble que tous se comportent comme des chercheurs, en quête permanente de réponses aux changements de leurs conditions de vie… à moins que le hasard seul ne guide ces transformations ? Si c’était le cas l’homme n’échapperait pas à ce même hasard : ne perdrait-il pas, alors, le libre arbitre auquel il tient tant ?
Connaît-on assez les particules qui interviennent au sein même de cette matière « étrange » pour déterminer si leurs assemblages sont le fruit du hasard ou d’une « intelligence » interne ?
En demeurant toutefois sur une interrogation, pourrait-on alors considérer que des molécules d’oxygène et de carbone qui s’associent pour un meilleur équilibre au sein de l’atmosphère ou dans les cellules d’un organisme, « collaborent » entre elles et avec les autres composés ?
Poursuivre dans cette direction serait aujourd’hui prématuré. Aussi, pour revenir au sens moral qui demeure notre sujet de réflexion actuel, considérons simplement que :
« Le sens moral de l’animal ne diffère de celui de l’enfant
que parce que ses caractéristiques sont incomplètes,
car acquises progressivement au fil de l’évolution. »
D – Du monde vivant à celui de la matière :
Toutes ces interrelations concernent toutes les espèces apparues au cours de l’évolution, mais aussi toutes les particules qui ont interagi dès la naissance de l’univers. Elles se sont progressivement assemblées jusqu’à constituer les premiers éléments de la matière organique : ARN mitochondrial, puis ADN viral et cellulaire.
La vie ayant la matière comme support, ces interrelations traduiraient-elles que l’intelligence des êtres vivants est une caractéristique de la matière elle-même ?
Même si l’on ne peut parler de sens moral aux stades les plus primitifs de l’évolution, observons ce qui se passe au sein de l’ADN. Atomes et molécules s’y sont associés en une longue chaîne de gènes. Cette chaîne est en interaction permanente avec son environnement, et en évolution permanente au fil des transformations environnementales.
Certains gènes peuvent même changer d’emplacement au sein de la chaîne, et l’ensemble se transformer passagèrement lors d’une division cellulaire.
Transformations de l'ADN lors de la méiose.
Chaque molécule se montre capable de « coopérer » avec une infinité d’autres au sein des cellules pour répondre aux informations en provenance du milieu ambiant et entretenir « la Vie ».
Forces, associations, coopération, autant de langages différents
qui décrivent comment la matière communique.
Ainsi, au cours de l’évolution, seuls les moyens mis en œuvre pour la « coopération » entre éléments variables ont changé : forces de liaison au niveau de la matière, communication chimique entre cellules, marque odorantes entre insectes, langage gestuel, langage sonore, langage mathématique….
Chez l’homme, constitué de quelque 30 000 milliards de cellules, un nombre équivalent de bactéries et de virus constituent un microbiote sans lequel aucun individu ne pourrait survivre.
Dans le mode vivant, nous avons vu les moyens de communication qui, entre espèces, permettent d’adapter les comportements.
Informations en provenance du monde vivant.
Le monde de la matière participe lui aussi aux échanges. En stimulant les enveloppes cellulaires ou corporelles, les photons et ondes sonores viennent « informer » les cellules visuelles ou auditives.
C’est ainsi que la matière se révèle être la coordonnatrice, à tous les stades de l’évolution, des transformations qui surviennent au sein du monde vivant : ne ferait-elle pas partie intégrante de la Vie ?
Informations en provenance du monde minéral (ondes lumineuses).
Informations reçues par l'intermédiaire des ondes sonores.
« La coopération, composante du sens moral,
est présente, sous différentes appellations, à tous les stades de l’évolution du vivant.
L’association des particules, présente elle aussi à tous les stades de l’évolution,
pourrait-elle représenter la forme primordiale de cette coopération ? »
Aujourd’hui, d’autres moyens de communication naissent grâce au développement du langage mathématique : après avoir inventé le langage machine qui permet à des processeurs informatiques de communiquer entre eux, et à l’homme de communiquer de tous points de la Terre, la structure biologique humaine est en passe de procurer à des robots, matière non biologique, tous les moyens d’accéder à l’intelligence en communiquant entre eux pour parvenir à évoluer de façon autonome.
La révolution quantique qui semble s’annoncer pourrait-elle présider à l’apparition d’un nouveau règne, celui de la matière vivante ?
« Peut-on séparer les mécanismes du vivant
de ceux qui président aux interactions au sein de la matière? »
E – De l’animal à l’homme - Comment les hommes sont-ils devenus moraux ?
a – Bien-être individuel et bien collectif :
Si les animaux ont des comportements souvent proches des comportements moraux humains, on ne peut encore avoir la certitude qu’ils aient un sens moral. Ce sont alors les comportements moraux humains que l’on peur tenter de comprendre afin d’en déterminer les causes. Un grand nombre de ces comportements s’expliquent par des bénéfices secondaires, mais ce n’est pas toujours le cas.
Par exemple, se jeter à l’eau pour sauver un individu va à l’encontre de l’instinct de conservation. Pour cette raison, ce type de comportement intrigue les spécialistes car l’évolution sélectionne généralement les actes qui apportent des bénéfices en termes de survie ou de reproduction.
Pourtant, ce coût n’est qu’apparent. Ces comportements étonnants procurent en effet bien souvent des bénéfices cachés, et lorsque ces bénéfices deviennent supérieurs aux coûts, le paradoxe disparaît : ce peut être, par exemple, une reconnaissance sociale, voire historique, ou un accès au Paradis, c'est-à-dire une reconnaissance divine, même au prix du martyre.
L’association pour la simple survie s’est ainsi perfectionnée chez les espèces supérieures : en intégrant l’influence de molécules et de centres nerveux générateurs de bien-être ou de mal-être, les comportements se sont renforcés et stabilisés.
Ainsi, se jeter à l’eau pour tenter de sauver quelqu’un est certainement coûteux en termes d’effort et de risque de mort, mais le sentiment d’empathie qui pousse à cet acte se justifie immédiatement par le soulagement des émotions négatives qui accompagnaient le spectacle.
Toutefois, en général, l’instinct de conservation sera privilégié, car il est source de bien-être indépendant du contexte social.
Plus tard, bien-être et mal-être personnels ont été complétés par les notions de bien et de mal qui concernent alors les sociétés humaines : le « bien » collectif pourra paradoxalement être à l’origine d’un mal-être personnel.
b - Les origines de la morale humaine - Les théories évolutionnistes :
Si le bien-être individuel favorise les relations qui le font naître, plusieurs théories proposent d’autres explications à l’apparition de la morale collective.
1 - La perpétuation de l’espèce :
Pour Patricia Churchland, philosophe évolutionniste, toute activité altruiste aurait pour origine la maternité : en effet, l’ocytocine, hormone essentielle de cette période, fait naître les comportements (bienveillance, confiance, coopération) qui serviront de modèle à tous les autres comportements pro sociaux. Ce serait donc à partir de prédispositions purement biologiques que se seraient développées les conduites morales des sociétés animales et humaines.
Ces conduites morales vont donc bénéficier aux individus génétiquement les plus proches, comme les membres d’une même famille. Ces conduites seraient alors des moyens qui permettent d’assurer la survie et la propagation des gènes.
Pourtant, si coopération et équité facilitent et harmonisent les relations entre individus, on ne peut plus parler de sens moral lorsqu’il s’agit de népotisme. Un véritable sens moral imposerait le respect de l’équité pour tous.
2 - La compétition entre groupes :
Une autre théorie évolutionniste suggère que les coûts des comportements moraux seraient compensés par les bénéfices liés à la compétition entre groupes. En effet, cette compétition aurait davantage profité aux groupes les plus altruistes car les plus compétitifs. A la longue, seuls ces groupes constitués d’éléments moraux (c’est-à-dire favorisant la coopération) auraient survécu, perpétuant le comportement moral.
Cependant, si la morale ne bénéficiait qu’au groupe, les individus auraient une morale utilitariste, favorisant le groupe et négligeant l’individu et son bien-être.
Cette théorie basée sur le calcul moral donne sens au fait de pousser une personne sous un train pour en sauver 5 car ce comportement favorise le groupe en sauvegardant le plus grand nombre de vies.
3 - Les bénéfices sociaux :
Une 3e théorie suggère que les coûts des comportements moraux seraient compensés par les bénéfices sociaux retirés par celui qui a pris le risque.
L’homme, en tant qu’animal social retire lui aussi l’essentiel de ses ressources de la coopération. Il est donc primordial pour lui d’être choisi comme partenaire. Respecter la morale lui permettrait d’avoir les comportements qui améliorent sa réputation. Quant aux individus amoraux, bien que moins facilement sélectionnés par le groupe, ils pourraient s’imposer par la force ou par des stratégies de manipulation efficaces.
Si la plupart des théories montrent leurs limites, ce seraient toutefois les prédispositions pro sociales (empathie, altruisme et confiance) communes aussi bien aux primates supérieurs qu’à l’homme, qui seraient à l’origine des comportements moraux.
Les 3 théories évolutionnistes.
- Instinct de parenté (couple) : transmission de ses gènes.
- Bénéfices pour le groupe (groupe) : il devient plus performant que les autres groupes.
- Bénéfices sociaux (aide) : accès à de nouveaux partenaires améliorant la survie.
b - La morale est-elle propre à l’homme ?
L’évolution permet de comprendre les raisons qui ont fixé les comportements moraux dans le patrimoine génétique qui nous est parvenu. Mais ces comportements n’existent-ils qu’au sein de l’espèce humaine ?
Si, jusqu’ici, les comportements qualifiés de « moraux » pouvaient être rattachés à un égoïsme où le calcul des avantages échappait à la conscience, que dire alors des dauphins qui ont sauvé des nageurs de la noyade, ou des prédateurs qui peuvent épargner les petits d’une autre espèce ?
Pourtant, aider ceux qui possèdent le moins, comme a pu le faire l’abbé Pierre en France, lutter contre l’esclavage comme le jésuite catalan Pierre Claver (1580-1664), sont autant de comportements moraux dont il est difficile de trouver trace chez les autres animaux.
D’autre part, la précision des jugements moraux humains n’existe dans aucune autre espèce, de même que la diffusion des bonnes actions qui favorise l’altruisme.
En l’état actuel des connaissances, la communauté scientifique s’accorde pour attribuer à la morale humaine un niveau bien supérieur à celui atteint par les autres espèces.
Mais la morale humaine est-elle vraiment supérieure ou seulement différente de celle des autres espèces car adaptée à un contexte différent ?
Par exemple, contrairement à l’être humain, les animaux ne s’octroient pas plus qu’ils n’ont besoin pour vivre, et s’ils tuent eux aussi pour se nourrir ou se défendre, ils massacrent rarement inutilement.
Si la morale humaine se caractérise par son organisation, cette organisation s’est faite grâce à l’acquisition du langage, et c’est toujours grâce à lui que les chercheurs ont pu déterminer les caractéristiques du sens moral de l’individu.
Alors, ne serait-ce pas plutôt le sens moral inné de l’enfant, capable de s’adapter aux besoins divers et souvent contradictoires des sociétés humaines qui mérite l’attention ? Et ne serait-ce pas ce sens qui s’approche le plus de celui des animaux ?
« Plus que le sens moral qui se traduit par un comportement respectueux de la vie et appartient au monde vivant en général,
c’est l’organisation rationnelle de ce sens qui s’est développée chez l’adulte humain. »
En quoi la morale humaine se différencie-t-elle donc de la sensibilité « morale » du monde animal ?
Pour répondre à cette question, nous pourrions distinguer ici deux formes complémentaires de morale :
- une morale rationnelle qui, en protégeant la société, peut s’opposer aux besoins individuels.
- un sens moral émotionnel à la recherche du bien-être personnel en communion avec le bien-être de l’autre.
« Si la morale rationnelle a pour base un égoïsme qui tend au mieux-être par la recherche des bénéfices sociaux,
le sens moral émotionnel a pour base un égoïsme qui recherche le bien-être individuel.
La première tente de respecter le bien-être individuel tout en l'adaptant aux besoins de la collectivité,
Le deuxième peut nécessiter de tuer pour survivre,
mais il peut aussi être en communion avec le bien-être de l’autre,
et s’appeler l’amour. »