Avant de traduire le langage du rêve, essayons de voir en quoi consiste le langage actuel de l'homme.
Pour cela nous allons devoir revenir aux mythes de la création du monde, tout particulièrement au récit de la tour de Babel qui, dans la Genèse, marque un tournant dans l'histoire de l'humanité.
A l'époque du paradis terrestre, Dieu (source de vie), les animaux et l'homme vivaient en harmonie. L'homme ne cherchait pas encore à transformer le monde.
Puis l'homme accéda à la conscience de son individualité et fut chassé du paradis terrestre : ce fut l'acquisition de la conscience primitive. Tandis que les animaux continuaient à vivre au sein de la vie, l'homme poursuivait sa propre évolution.
Les signaux visuels sont suffisants pour assurer la survie de l'animal : il se trouve à un stade, celui de la sensibilité et des émotions, qui s'expriment par des sons :
Miam! (sous entendu : la viande est bonne).
Bêêêê! (sous entendu : le loup va me manger!)
Chez l'animal, la perception visuelle est suffisante pour entraîner une réaction.
Mais l'homme, qui veut transformer son environnement, a besoin d'une communication plus élaborée. Il accède alors au langage verbal :
inapte à exprimer les émotions, il a pour fonction de
décrire les activités du groupe...
Si l'on peut dire "le pain est bon", il est difficile de décrire le ressenti intérieur et individuel sous-tendu par le mot "bon"... Par contre ce langage décrit à la perfection la succession des événements nécessaires au fonctionnement de la vie sociale :
"Je t'apporte du blé"
"Mouds-le moi puis porte-le au boulanger"
"Tu lui diras de me cuire trois pains de deux livres".
Le langage rationnel est parfait pour décrire les situations et leur apporter une solution.
Ce langage humain apparaît au
tournant de l'évolution que décrit le mythe de la tour de Babel :
A - La tour de Babel : (genèse. 11, 1- 9)
La terre entière se servait de la même langue et des mêmes mots. Or en se déplaçant vers l'orient , les hommes découvrirent une plaine et y habitèrent. Ils se dirent l'un l'autre : "allons! Moulons des briques et cuisons-les au four." Les briques leur servirent de pierre et le bitume leur servit de mortier. "Allons! dirent-ils, bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche le ciel! Faisons-nous un nom afin de ne pas être dispersés sur toute la surface de la terre."
Le Seigneur descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils d'Adam. "Eh, dit le Seigneur, ils ne sont tous qu'un peuple et qu'une langue, et c'est là leur première œuvre! Maintenant, rien de ce qu'ils projettent de faire ne leur sera inaccessible! Allons, descendons et brouillons ici leur langue, qu'ils ne s'entendent plus les uns des autres!"
De là le Seigneur les dispersa sur toute la surface de la terre et ils cessèrent de bâtir la ville. Aussi lui donna-t-on le nom de Babel car c'est là que le Seigneur brouilla la langue de toute la terre, et c'est de là que le Seigneur dispersa les hommes sur toute la surface de la terre.
Les hommes avaient un langage commun. Cependant, au lieu de s'en servir pour vivre, ils l'utilisèrent pour accéder à la connaissance de la vie, au mépris de la vie elle-même.
Ils oublièrent alors que la vie était en eux et autour d'eux; ils oublièrent que le langage ne sert pas seulement à faire, mais à
communiquer! Ils transformèrent alors la connaissance en une structure rigide, la Tour.
Dominant la vie, ils finirent par l'oublier, et le langage issu de cette dernière devint inutile.
Ainsi fut perdu le langage universel à toutes les formes de vie ...
Ce récit biblique situé à la fin des récits concernant les origines de l'humanité précède l'histoire des patriarches : l'homme passe de l'enfance et de la spontanéité à l'âge adulte dominé par la raison. Une autre ère commence : la raison et les règles déterminent les comportements de la communauté.
L'ère des représentations
concrètes et de la réalité : "
j'ai envie" (en-vie), cède le pas à celle des idées
abstraites et des commandements : "
Il faut!... "
Alors que le mythe du paradis terrestre traduisait, dans un monde où existait encore un langage universel, l'accession de l'homme à la conscience de son individualité et ses capacités de choix (entre les règles et la sensibilité), le mythe de la tour de Babel traduit la prise de conscience par l'homme de son pouvoir sur le monde pour accéder à la connaissance. Pour ce faire, l'homme devient le créateur d'un monde nouveau,totalement dissocié du monde naturel : il en va de même pour son langage.
Voyons cela en images...
Dans le Paradis terrestre, tous les êtres communiquaient et vivaient en harmonie.
Puis une nouvelle forme de pensée apparaît. Elle se
dissocie de l'Intelligence de la vie, pour s'élever à un niveau où elle perd toute communication avec celle-ci.
Ce n'est pas la communication entre les hommes qui a été touchée en premier, mais la communication entre les hommes et la vie. Or la vie est ce qui relie les hommes. Le lien commun ayant disparu, il ne demeure que des pensées rationnelles qui s'isolent ...
"Nous sommes une communauté" disparaît. Seul subsiste un
langage fonctionnel qui fixe les rapports humains : "je suis ton père et je t'ordonne!"; ou bien " je suis ton fils et j'obéis...!".
Ainsi n'est-ce pas Dieu qui a fait perdre à l'homme son langage commun. Force unificatrice établissant un lien de communauté vivante, il se contente de constater une évidence : l'homme a, de fait, quitté le domaine de la vie, et les conséquences sont inévitables.
En effet, le propre de la vie est l'
échange pour la régénération. Mais c'est l'inverse que nous observons dans notre monde matériel : l'homme, enfermé dans ses structures, stérilise la vie, et tente ensuite de s'approprier ce qui en reste pour survivre lui-même.
B – Les Patriarches :
L'homme entame alors la période des patriarches et celle des lois. A défaut de respecter les règles de la vie, il doit obéir aux lois édictées par les sages, ceux qui ont entendu en eux la parole de la nature. Ce sont ces lois qui vont organiser les nouveaux rapports.
Mais, bien que calquées sur celles de la nature, elles ont le défaut de s'en dissocier et, parfois même, de s'opposer à elles.
Le paradis se situe maintenant à l'opposé du monde structuré et de ses artifices.
Alors, enfermé dans ses nouvelles lois, ses structures et ses lumières artificielles, l'homme peut-il retrouver ce jardin d'Eden objet de ses rêves?
Il faudrait' pour cela, qu'il parvienne à passer, comme Alice, de l'autre côté du miroir qui ne lui renvoyait que l'image de sa raison. Il retrouverait alors son cerveau oublié, le cerveau instinctif, son autre monde intérieur, le monde des rêves ...
C – Dissociation de l'intelligence humaine et de l'intelligence animale :
L'apparition de l'intelligence des mammifères était liée à l'
adaptation au milieu. A un certain moment est apparu au sein de cette intelligence un autre "désir" qui est, non plus l'adaptation pour la vie, mais la
transformation de l'environnement. Dans le même temps, poussée par sa conscience nouvelle de ses rapports au monde, cette intelligence a soudain désiré accéder à la compréhension de ses origines.
L'évolution de l'univers a abouti à la création de la vie, et celle-ci tente de percer le mystère de ses origines, et de recréer la vie, ce que montre la recherche scientifique actuelle.
De la même manière, les aires de la perception dans nos structures mentales ont abouti au langage. Et paradoxalement ce dernier tente parfois d'expliquer la vie sans avoir recours aux aires de la perception ...
Ainsi l'intelligence de l'homme n'est plus une intelligence adaptative au milieu, mais une volonté de comprendre, puis de recréer le monde en fonction de ses besoins..
L'étude des croyances nous a permis d'observer la dissociation de la pensée humaine et la première tentative de l'homme pour se réunifier au tout : la construction de la tour.
Le développement excessif de la pensée rationnelle et sociale aboutit à l'effondrement de cette dernière.
L'homme en tentant de transformer la nature vivante en structure bâtie de toutes pièces perd le langage universel des sentiments pour ne plus utiliser que le langage verbal de la raison.
Comment, concrètement, cela peut-il être illustré au sein du cerveau humain? Par l'apparition d'une nouvelle structure cérébrale!
D – le langage rationnel dans l'évolution :
Nous avons vu que le vertébré supérieur animal possède une pensée développée pour l'apprentissage, qui a développé son intégration au monde environnant. Tout est possible et tout est permis pour la survie, l'acte de fuir comme de l'acte de tuer.
En opposition à cette pensée, la pensée de l'homme est régie par les lois sociales :
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-"Fuir est lâche." -"Tu ne tueras point! "-"Même si ta survie est en jeu!" -"Te sacrifier pour une idée est noble!" -"Tu feras en fonction de telle ou telle règle ..." -"Tu ne feras pas en fonction de telle ou telle loi ... |
La structuration de cette pensée issue de notre raison influence l'avenir de tout homme et de tout groupe social.
Il est nécessaire de rappeler toutefois que le mammifère possède une ébauche de cette pensée qui est celle du "chef de meute" : aucun membre de la meute ne touche la nourriture avant le dominant, aucun mâle autre que le plus fort n'a droit à la femelle!
Comme nous l'avons déjà vu, la raison ne peut être située au sein de nos structures mentales : il apparaît un peu partout des activations de neurones mettant en jeu la mémoire globale et les réactions générales. Mais seules les activations et les circuits reconnus socialement sont utilisés, les autres demeurent inconscients : les réactions programmées et sociales pourraient en effet entrer en conflit.
En ce sens, le cerveau peut être comparé à un ordinateur, ouvert sur Internet, qui ne serait utilisé que pour des calculs de comptabilité personnelle. La richesse de tout ce à quoi il lui est possible d'accéder est négligée. Pourtant le disque dur et la mémoire vive sont en permanence sollicités par le modem et les serveurs extérieurs, mais seuls les calculs personnels apparaissent à l'écran.
L'intelligence est une fonction globale du cerveau. La raison, elle, n'est que la partie utilisée de cette intelligence en fonction de ce qui est permis par la société, et le contrôle que l'on a de soi.