“Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants,
mais peu d’entre elles s’en souviennent.”
Antoine de Saint-Exupéry.
(Le petit prince.)
Sens moral et éducation.
6 - Education – développer le sens moral :
Entre les dérives du comportement commun et les pathologies avérées, détectables à l’examen du cerveau, tout n’est bien souvent qu’une question de degré.
Voyons donc comment l’éducation peut renforcer, chez l’enfant, ses capacités innées pour lui éviter de devenir un adulte insensible.
En effet, il n’a pas à acquérir le sens moral car il existe déjà chez lui.
A – L’influence sociale – de l’enfant roi à l’interdit :
a - Les fragilités de la personnalité humaine :
L’influence de l’adulte sur le comportement de l’enfant se fait sentir très tôt. Ses inquiétudes en sont bien souvent la cause. Pour ne pas perdre l’amour de son enfant il satisfait tout d’abord tous ses désirs et lui accorde une place centrale. Plus tard, après cette « liberté » octroyée sans contrôle, il devra l’amener à s’intégrer dans le cadre social.
S’y ajoute la perte de l’esprit critique exploitée par les groupes d’intérêt.
b – L’interdit :
C’est ainsi que, suivant les groupes et les époques, pour assurer l’ordre indispensable à son bon fonctionnement, la collectivité a été amenée à créer des règles. Celles-ci peuvent cependant devenir excessives : par exemple, dans certaines sociétés, on a pu être amené à sanctionner les injures.
Or, qu’expriment-elles ? Que la personne qui les profère n’aime pas celle qui les reçoit. Il vaut peut-être mieux, pour elle, qu’elle se méfie et prenne ses distances. Car, l’injure n’est pas seulement une menace, elle est aussi un avertissement qui protège la personne a qui elle est adressée. C’est le rôle du grognement du chien qui, sans mordre pour autant, prévient de demeurer à sa place.
Chez l’homme, si l’interdit épargne l’amour propre de celui qui aurait pu être injurié, il l’empêche de différencier ses amis de ses ennemis. Parfois, il l’empêche aussi de reconnaître des erreurs à l’origine de la haine qu’on lui porte.
B – Les méthodes d’éducation :
Trois méthodes sont utilisées par les adultes pour inciter les enfants à se comporter en fonction des règles collectives.
– La première, l’exercice du pouvoir est un mode d’intervention essentiellement coercitif. Il s’appuie sur la menace, l’usage de la force physique ou la privation (jouets, télé, sorties…).
– La 2e méthode est le retrait d’affection : l’adulte ignore l’enfant et refuse de lui parler.
– Enfin la dernière méthode, dite « raisonnement inductif » consiste à expliquer à l’enfant, de façon plus ou moins élaborée selon son âge, les conséquences de son comportement sur autrui.
Qu’en est-il des résultats obtenus par ces méthodes ?
L’affirmation d’un pouvoir juste favorise l’adhésion, mais l’exercice d’un pouvoir autoritaire peut au contraire entraîner la révolte ou de profondes perturbations. Le résultat obtenu avec les jeunes peut être comparé à celui obtenu dans une nation dirigée par un pouvoir autoritaire.
Quant à la technique du retrait d’affection, elle se montre inefficace.
Par contre, l’induction renforce chez l’enfant l’intériorisation des normes morales, développe ses capacités empathiques. et stimule le désir de ressembler à la personne qui lui permet de mieux comprendre le monde dans lequel il vit.
« Chez l'adulte, le geste est devenu un mécanisme inconscient
qui révèle ce que la parole n'exprime pas. »
C – Récompense et punition forgent-elles la morale ?
a - Que disent les habitudes et l’expérience commune ?
On constate que punitions et récompenses sont les méthodes généralement utilisées pour inculquer les comportements moraux : la probabilité d’acquérir un nouveau comportement augmente lorsqu’il est récompensé et diminue quand une punition le sanctionne.
On considère donc que la conduite observée semble répondre à 2 types de motivation, la récompense ou la punition.
Punition et récompense visent le même but
De même, chez l’enfant comme chez l’adulte, les gratifications matérielles (comme des rémunérations), ou sociales, (comme des félicitations) renforcent les conduites dans le sens souhaité.
Toutefois, les récompenses peuvent être parfois ressenties comme un dû. Si elles sont supprimées, elles vont exclure toute conduite morale.
La punition devient alors quasi indispensable : effectivement, lorsque le comportement asocial est réprimandé ou puni, on constate le plus souvent qu’il ne se reproduit plus.
b – Que dit la science en ce qui concerne les enfants ?
1 - La récompense :
Richard Fabes de l’université d’État de l’Arizona a travaillé avec des enfants âgés de 7 à 11 ans que les mères récompensaient régulièrement, croyant ainsi stimuler leur altruisme ; il leur a proposé de fabriquer des jeux pour des enfants hospitalisés.
En récompense de leur générosité, il remettait un jouet à une partie des enfants, tandis que les autres ne recevaient rien.
Lorsque les enfants ont eu une nouvelle occasion d’aider les jeunes hospitalisés, il a pu constater que 44 % seulement des enfants récompensés proposaient leur aide, alors que la totalité des enfants non récompensés se montrait toujours disposée à aider.
Un comportement similaire a été observé dans le comportement ludique. Dans cette étude, des enfants étaient récompensés chaque fois qu’ils utilisaient un jeu qu’ils aimaient déjà avant l’expérience. On a constaté que ces enfants préféraient jouer à un autre jeu lorsqu’on cessait de les récompenser, ce qui n’était pas le cas des enfants non récompensés qui reprenaient leur jeu favori.
De tels résultats semblent indiquer que seuls les comportements induits par des sentiments éprouvés à l’égard des autres sont spontanés ; les comportements déclenchés par la perspective d’une récompense ne persistent que tant que la récompense demeure intéressante, et ils se réduisent progressivement si la récompense n’est pas réévaluée.
2 - Les encouragements :
Dans une autre étude, on gratifiait des enfants qui en aidaient d’autres, par des pièces de monnaie ou par des encouragements : on a pu constater, dans les deux cas, que cela renforçait leur conduite à court terme.
Puis, quelques jours plus tard, on leur demandait pourquoi ils avaient apporté leur aide.
Ceux qui avaient reçu les pièces répondaient qu’ils avaient agi pour l’argent, tandis que ceux qui avaient bénéficié d’encouragements répondaient qu’ils avaient aidé pour apporter du bien-être à autrui.
On retrouve ici le caractère addictif de la récompense matérielle : le lien ne s’établit plus avec la personne, mais avec l’objet reçu ; dans ce cas, seule l’augmentation de la récompense peut prolonger le comportement d’assistance.
La disparition de la récompense supprime non seulement tout l’intérêt de l’aide, mais elle peut aussi entraîner une frustration propice aux conduites asociales.
L’intérêt pour l’objet court-circuite le sentiment éprouvé pour l’être vivant.
3 – La menace :
De leur côté, Jonathan Freedman et Scott Fraser, de l’université Stanford ont travaillé avec des enfants âgés de 7 à 9 ans en leur demandant de ne pas s’amuser avec un jouet particulièrement attirant.
Certains enfants étaient menacés de punition, d’autres avaient une consigne moins stricte.
Aux débuts de l’étude, et dans la majorité des cas, la seule autorité de l’expérimentateur suffisait à imposer le respect de la consigne.
Quelques semaines plus tard, les enfants étaient replacés dans les mêmes conditions de jeu, mais sans instruction particulière cette fois : les chercheurs ont pu constater que 60 % des enfants qui avaient reçu la consigne menaçante s’amusaient avec le jouet, alors que seulement 29 % des enfants qui avaient eu une menace faible jouaient avec.
4 - Les gratifications verbales :
Dans une autre étude, des enfants de 8 à 9 ans gagnaient des jetons qu’ils pouvaient ensuite échanger contre des jouets. Ils étaient toutefois encouragés à partager leurs jetons avec des enfants défavorisés.
Lorsqu’ils donnaient une partie de leurs jetons, les félicitations étaient présentées de deux manières, soit on louait leur altruisme, soit on leur expliquait que leur comportement était altruiste.
Plus tard lorsqu’il leur était proposé de réaliser une nouvelle action de partage, les enfants qui avaient été reconnus altruistes avaient plus souvent un comportement altruiste que ceux dont on avait seulement décrit le comportement.
Qu’en déduire pour l’éducation des enfants ?
En général, avec les enfants, les chercheurs utilisent des récompenses matérielles de peu de valeur, par exemple des bonbons ou quelques euros selon le cas, et l’on observe effectivement, alors, l’augmentation des comportements altruistes : toutefois, au fil des essais, ces comportements se raréfient lorsqu’ils ne sont plus récompensés.
Les encouragements matériels présentent en effet un inconvénient majeur : il s’agit de motivations extérieures auxquels les enfants sont sensibles, mais qui réorientent leur comportement vers un pôle d’intérêt, source de mieux-être, qui n’a plus rien à voir avec le bien-être procuré par le sens moral.
La récompense pour avoir aidé...
...n’incite pas à la compassion.
Au contraire, si l’on utilise des mots qui expriment des sentiments, (félicitations, encouragements), le comportement altruiste persiste plus longtemps, même en l’absence de récompense.
La reconnaissance des bienfaits...
...suscite le désir de recommencer.
« Ressentir est le moteur essentiel du sens moral. »
c - Que dit la science en ce qui concerne les adultes ?
1 - Le rôle des récompenses :
Pourquoi le comportement moral se modifie-t-il quand le sujet reçoit une récompense matérielle? Celle-ci serait-elle inutile ?
Pour répondre à la question, Dan Ariely, de l’université Duke, a demandé à des volontaires adultes de réaliser des exercices recouvrant des compétences variées (dextérité, logique ou mémoire), en les rémunérant plus ou moins [rémunération des sujets adultes].
Il a constaté que plus la rémunération était élevée, plus les performances étaient mauvaises, semble-t-il à cause du stress lié à un enjeu important.
Toutefois, d’autres études ont montré qu’une rémunération élevée n’augmentait les performances que dans un cas : lorsque les tâches réalisées étaient très simples ( appuyer sur 2 touches), mettant en avant l’instauration d’un automatisme. C’est lorsqu’un travail de réflexion était demandé que les performances s’effondraient avec l’augmentation de la rémunération.
Ce résultat semble être contredit par ce que l’on observe dans le domaine du travail : la réussite de certains patrons, artistes ou sportifs paraît être en rapport avec leur mérite, ce qui justifie leur rémunération.
On peut cependant considérer que l’activité pour laquelle ils ont opté est celle pour laquelle ils étaient prédisposés, c’est-à-dire pour laquelle ils avaient, dès le départ, des facilités : en ce qui les concerne, il s’agit donc d’une activité entrant dans le cadre des tâches simples.
Ainsi, l’enfant qui possède une bonne mémoire n’aura aucune difficulté à mémoriser le code civil et deviendra un bon avocat, celui qui a « le don » de la musique ou du dessin deviendra un artiste talentueux, et celui qui a des réflexes exceptionnels un joueur d’exception.
La synthèse de près de 130 études indépendantes réalisée par Edward Deci (Université de Rochester), a confirmé que pour favoriser des conduites morales, l’usage de la récompense est souvent inopérant car il y manque un élément essentiel, l’empathie[cf : Argent et empathie]. La conduite n’est plus motivée par le désir d’aider autrui, mais par les bénéfices matériels qui en découlent. De plus, les fortes rémunérations amplifient très rapidement une addiction à l’argent [cf : L’argent et le mensonge], et développent narcissisme et égoïsme.
Une tâche pour laquelle on est prédisposé justifie-t-elle des récompenses excessives...
...alors que le sens moral qui incite au partage n’existe plus ?
2 - Le rôle de la punition :
En collectivité, la punition n’a d’effets positifs que si elle est exercée de façon prévisible, répond à des normes admises par la majorité de ses membres, et qu’elle est appliquée immédiatement. Son report favorise la certitude que la menace a peu de chances d’être mise en application.
D’autre part, s’il s’écoule un délai trop important entre l’acte de délinquance et la sanction, un sentiment d’inadéquation et d’injustice peut apparaître, surtout si la faute n’a pas été reproduite dans l’intervalle. De plus, si la sanction n’est pas reçue comme juste, les sujets ont moins tendance à respecter la loi, et ils s’octroient ce qu’ils considèrent être des compensations du préjudice subi.
De leur côté, les sanctions monétaires peuvent engendrer des comportements inattendus. C’est ainsi que les directeurs de 6 crèches à Haïfa (Israël), ont décidé d’appliquer une sanction monétaire pour chaque retard des parents à venir chercher leurs enfants à la fermeture de l’établissement.
Le résultat n’a pas répondu aux espérances : la durée des retards a doublé ! En payant le temps de retard, les parents considéraient avoir acquis le « droit » d’être en retard.
Lorsque les amendes ont été supprimées, la nouvelle habitude s’était installée et a persisté.
Dans le monde des adultes, récompenses et punitions peuvent présenter un intérêt variable (par exemple une sujet qui possède des biens aura plus tendance à craindre la sanction que celui qui n’en possède pas), et elles ne contribuent pas à l’apprentissage à long terme des normes morales.
Les sanctions n’ont de réel effet que pour celui qui anticipe les conséquences qu’elles auront sur ses conditions de vie. De plus, elles ne jouent un rôle important et durable dans l’apprentissage des normes morales que si elles sont justes. C’est à ce prix qu’elles pourront favoriser l’intégration dans le groupe.
D - L’importance du sens moral inné - Le rôle de l’exemple :
A l’inverse, si notre sens moral inné rencontre les conditions nécessaires à son épanouissement - justice, partenaires dignes de confiance, accès à un travail épanouissant – l’apprentissage par la récompense ou la punition n’est pas nécessaire.
Cependant, à la période de maturation, chez l’enfant et chez l’adolescent, d’autres moteurs du développement du sens moral sont importants : l’observation des comportements et de leurs conséquences, et l’exemple donné. Ce dernier, primordial, n’est pas l’apanage de l’espèce humaine. L’éthologie nous apprend que l’animal élevé par l’homme peine à acquérir un comportement équilibré s’il n’a pu profiter de l’exemple de sa mère.
L’apprentissage par l’exemple est plus efficace…
…que celui dispensée par la parole.
Récompense et punition sont-elles indispensables alors que l’évolution s’est chargée de les intégrer au sein du cerveau sous la forme de sensations agréables ou pénibles[cf : la culpabilité] ?
Quant aux sanctions instaurées par la collectivité, elles n’ont d’importance que pour celui qui, ayant perdu sa capacité d’empathie, doit être contraint par les règles, puisqu’il a oublié que le « sens » moral inné obéit à ce que l’on ressent et non à ce que l’on apprend.
L’éducation telle qu’elle est pratiquée et telle que les scientifiques nous la révèlent démontre une fois encore que la morale dispensée à partir du langage n’a pas le même impact que celle issue de nos sens, des sens qui ne la raisonnent pas mais qui l’éprouvent.
Il devient alors possible de comprendre la plupart des comportements humains : lorsque la récompense matérielle cesse, le contrat passé s’interrompt, le sujet reprend alors sa liberté d’action et ses propres intérêts.
En effet, les résultats positifs obtenus ne sont pas la conséquence d’un sentiment de fierté créé par les encouragements.
Ils proviennent du sentiment de bien-être qui survient lorsqu’on est reconnu à sa juste valeur par une personne bienveillante qui acquiert alors le statut d’ami.
Rendre service ou aider les autres possède alors une triple importance :
- le bonheur qu’apporte le sentiment d’aider,
- le bonheur de partager la joie de celui que l’on a aidé,
- et enfin le bonheur de s’être fait deux nouveaux amis, celui aidé, et celui qui a demandé d’aider.
« Là où punition et récompense peuvent avoir des effets pervers,
la création d’un lien social basé sur l’exemple donné et l’équité montre son efficacité. »
L'assistance à autrui est spontanée.
Bonheur et amitié sont indissociables du sens moral.
« La différence entre la récompense matérielle et la récompense émotionnelle ?
L’une se perd, l’autre est entretenue en permanence par la présence d’amis sûrs. »
Cinquième étape vers l'interprétation des rêves : (suite)