3 - Développement social de l’enfant et apparition du langage :
L’élaboration d’un langage apparaît, dès la naissance, sous la forme qui caractérise l’apprentissage du tout petit : l’imitation. Imiter, c’est reconnaître l’expression de l’autre, la reproduire, et découvrir que l’autre réagit : la relation peut s’établir.
L’action est source d’imitation
L’imitation est source de réaction : la relation s‘engage et se développe.
Le langage ne fait pas autre chose.
A – Les gestes, entre imitation et langage verbal :
Aussi est-il nécessaire, bien que l’on attache beaucoup d’importance au langage de l’enfant, de ne pas oublier que le langage verbal succède au langage des gestes, et que le langage des gestes et des mimiques s’élabore chez l’enfant grâce à l’imitation.
Grâce à ces gestes, l’enfant va apprendre à communiquer, sans posséder toutefois le langage.
Il en est de même chez les animaux, par exemple l'attitude du chat qui se fige devant une souris peut être traduite par « évitons d’attirer son attention ».
D’un autre côté, au moment où l’animal bondit, le cerveau de la souris comprendra : « je suis attaquée, fuyons ! »
L'attitude du renard qui échappe au loup en se laissant choir, immobile, peut-être traduit par le loup par : « il est mort ! »
C'est ce que fait aussi l'être humain.
L’attitude est donc le premier message qu'envoie un animal pour communiquer.
Tout peut se dire dans l’action et le silence, les échanges sonores ne viennent qu’ensuite. Ils résultent, chez les espèces évoluées, d'une inhibition de l'action. Prendre du temps pour prévenir ses congénères d’un danger, c’est inhiber sa propre réaction de fuite.
Quant à celui qui s’est laissé surprendre par le prédateur, ses cris et ses gémissements informent ses semblables du danger qu’ils courent. Le langage, à partir de sons, se met alors en place.
Il en va de même pour l’homme qui souffre : parler pourra aussi bien traduire son incapacité à échapper à la douleur que son désir d’être soigné.
Que l’enfant ne puisse pas encore s’exprimer par des mots serait-il alors un critère d’immaturité ? Il n’en est rien !
Pour celui qui sait observer, le langage n’est pas nécessaire pour découvrir l’intelligence de l’enfant.
Revenons à l’enfant. Lors d’une expérience, l’équipe du professeur Georges Hollich (Purdue University – Indiana) a montré à des bébés âgés de 15 mois de courts métrages montrant des collisions entre une fleur et une pomme. Lorsqu’on les a interrogés : « où est la fleur ? » Ils l’ont regardée.
Et lorsqu’on leur a demandé : « qu’est-ce qui a heurté la fleur ? » Ils ont regardé la pomme.
Signe qu’à cet âge, au-delà des mots désignant les objets ils reconnaissent une tournure interrogative et savent y répondre par un simple mouvement des yeux.
De même les adultes utilisent des gestes dans une conversation banale ou pour expliquer un sujet complexe.
Ce mouvement est d’ailleurs tellement naturel qu’ils n’en ont même pas conscience.
Ainsi se révèle une capacité perdue chez l’adulte : tandis qu’il parle, il conserve un mouvement qui échappe à sa conscience, et lorsqu’il écoute, il ne songe même plus à percevoir les mimiques de celui qui lui adresse la parole.
L’adulte a non seulement perdu la conscience de ses gestes, mais également celle des gestes d’autrui.
Ainsi, la parole, en prenant le dessus sur l’expression corporelle, a amené l’homme à perdre peu à peu conscience de son corps. Ce phénomène est inévitable, car l’attention ne peut se focaliser que sur un seul objet ! [cf : le travail de la conscience]
Nous avons déjà évoqué cette capacité perdue : nous n'avons pas toujours conscience de l'expression de celui qui nous parle, fatigué, mais nous sommes capables de rêver qu'il est fatigué. [cf : l'intuition]
Or, tous ces mouvements ne se font pas au hasard : bien que devenus non conscients, ils reflètent nos pensées et notre état d’esprit intérieur et ils réapparaissent dans l’imagerie de nos rêves.
« Chez l'adulte, le geste est devenu un mécanisme inconscient
qui révèle ce que la parole n'exprime pas. »
B – Les gestes, moyen de connaître l'autre :
Cette capacité à accompagner nos paroles de gestes est innée : même les aveugles de naissance font des gestes, alors qu’ils n’ont jamais vu personne en faire.
En effet, ces gestes n’aident pas toujours le locuteur aveugle à être mieux compris mais ils vont exprimer son état intérieur, même si, par ailleurs, il tente de le masquer.
D’une manière générale, tandis que les oreilles entendent les mots, les yeux vont détecter les gestes, et il sera possible de saisir le sens caché sous les mots et une intention autre chez celui qui veut nous influencer.
La communication non verbale exprimée par les gestes et l’attitude est une fenêtre ouverte sur l’état intérieur de celui qui parle, et ces gestes nous influenceraient d'autant mieux qu'ils demeurent invisibles à nos yeux. Ils nous influencent de façon « subliminale » : pourtant, malgré nous, et malgré les affirmations de notre vis-à-vis, nous pouvons ressentir un doute, un malaise. Nous entendons bien ce qu'il nous dit, mais... quel est ce « quelque chose » qui fait que nous ne sommes pas tout à fait certains qu'il nous dise la vérité ?
Ainsi, encore une fois, pouvons-nous constater qu'il existe chez l’adulte deux formes de conscience dissociées, fonctionnant chacune de manière autonome : [cf : les deux pôles de la pensee]
- l'une, développée au cours de l’éducation, qui apprend grâce au langage des mots,
- et l'autre liée à la perception à laquelle, bien souvent, nous ne prêtons plus attention.
Que représentent alors ces gestes pour les enfants, après leur passage du stade de l’imitation à celui de la communication ?
Les chercheurs nous apprennent à ce sujet que les gestes des enfants indiquent une autre façon de résoudre les problèmes, bien souvent meilleure que les paroles.
Par exemple, l'un des gestes les plus utilisés par le tout-petit est de pointer du doigt. Et lorsqu’il combine ce geste avec un mot, il en dit davantage qu'avec le mot seul.
Ainsi, s'il montre un chapeau et dit « papa », il pense au « chapeau de papa ! » ou bien « papa a mis son chapeau » : Bientôt, il combinera les mots et prononcera sa première phrase.
C’est ainsi que l’on constate que, deux ou trois mois seulement après sa première combinaison geste – mot, l'enfant va prononcer sa première association de deux mots.
Tandis qu’il combine les gestes et la parole, nous assistons à l’enrichissement de son vocabulaire.
A l’age adulte, le développement du langage verbal et l’adhésion à des règles sociales se feront au détriment du langage gestuel qui était l’expression visible des émotions.
L’enfant n’a-t-il pas appris que certains gestes étaient déconseillés, comme celui de montrer quelqu’un du doigt ?
« Chez l'enfant, le geste est un moyen d'exprimer
ce qu'il ne peut encore dire. »
Ne pourrait-on alors établir ici un lien avec ce qui se passe au cours du rêve nocturne ? Le langage gestuel subsiste dans le rêve. Les images nous y font vivre des situations où la gestuelle seule détermine l’action.
En nous intéressant à l’évolution des lignées animales,nous avions vu que le sommeil paradoxal existe chez les animaux avant l’apparition de leur langage [cf : fonctions du rêve].
Nous retrouvons cette chronologie dans le développement de l’enfant qui agit avant de savoir parler pour expliquer ses gestes.
Quant à l’adulte qui va peu à peu perdre conscience du sens de ses gestes, il est naturel qu’il ne sache plus les traduire lorsqu’ils se produisent dans ses rêves.
« Le rêve ? Un langage des émotions et un langage gestuel. »
C – Le passage du geste à la parole :
Revenons, un instant, au passage du geste à la parole chez l’enfant.
Le fait que l’enfant ne sache pas encore s’exprimer correctement avec des mots est-il le signe d’une incapacité de compréhension ?
Ses gestes ne pourraient-ils nous en apprendre davantage ?
Nous avons déjà vu que la direction de son regard sur la fleur et la pomme nous indiquait qu’il comprenait les questions posées.
Dans une autre expérience, les chercheurs de l’équipe de psychologie de Chicago ont demandé à des enfants de maternelle d’expliquer comment assembler mentalement deux parties d'une forme pour trouver la bonne réponse parmi quatre solutions proposées.
Comment assembler ces deux formes...
...pour obtenir l’un de ces résultats ?
Les chercheurs ont alors constaté que les gestes que faisaient les enfants avec les mains décrivaient parfaitement la façon de bouger les éléments séparés pour qu’ils s’assemblent correctement, alors que les explications fournies n'étaient pas toujours pertinentes (certains enfants évoquaient par exemple le nombre de pointes sur ces formes).
Ces gestes montraient que leur intelligence était déjà présente pour trouver une solution.
Il en est de même pour l’animal qui doit avant tout déterminer quelle stratégie corporelle adopter pour attraper une proie, échapper à un prédateur ou extraire sa nourriture d’un lieu inaccessible.
Ainsi, l’enfant démontre que l’action, et l’information qu’elle transmet, est antérieure à la transmission vocale de cette information.
Plus tard, grâce au langage verbal, il va accéder à une possibilité nouvelle et apprendre à coordonner deux fonctions complémentaires : le geste qui permet de résoudre un problème, et la parole qui le décrit. Aucun des deux ne peut remplacer l'autre, même si le geste demeure le plus efficace lorsqu’il s'agit d'aborder la réalité.
Il apparaît ainsi que le bébé est conscient du monde, et qu’il connaît aussi la manière dont il faut l'appréhender.
« Le geste de l'enfant ? Un moyen de visualiser et d'expliquer. »
D – Importance des gestes dans l'évolution de l'enfant :
Ces gestes, si importants pour l’enfant qui découvre et apprend, permettent aussi au chercheur et au pédagogue de découvrir ses capacités et de les développer.
Dans l’apprentissage de la parole, les indications fournies à l’enfant par le pédagogue ou le chercheur semblent utiles lorsque l’enfant montre déjà, par ses gestes, qu’il possède des connaissances implicites. Lorsqu’il se trompe, corriger son geste tout en lui expliquant son erreur va favoriser son apprentissage. On constate à ce sujet que c’est toujours le geste qui favorise la mémorisation.
C’est ainsi que dans une étude réalisée en 2007 par Sara Broaders (université Northwestern), et Susan Wagner Cook (université de l’Iowa), il a pu être démontré que les gestes ne reflètent pas seulement les pensées et le savoir-faire des enfants, mais qu’ils peuvent changer et bien souvent améliorer leur mode de pensée.
Par contre, si les gestes des enfants sont plus efficaces que la parole pour agir, ils peuvent aussi révéler des stratégies erronées lorsqu’il s’agit d’effectuer un travail abstrait, comme un calcul. Ainsi, dans le cadre de la recherche ci-après, il est proposé aux enfants de trouver le chiffre qui manque dans la deuxième partie de l’égalité 3+2+5=…+5. L’enfant peut alors indiquer le chiffre 10, ce qui est inexact, mais ses gestes montrent qu’il a remarqué le chiffre 5 de chaque côté de l’égalité.
Si le pédagogue lui explique son erreur avec les seuls mots, l’enfant comprend, mais pourra à nouveau se tromper.
Mais s’il la lui explique en faisant le geste de lier le 3 et le 2 pour les placer à droite, l’enfant comprend mieux et mémorise plus facilement. Le geste prime donc sur la parole, et aide l’enfant à intégrer les informations.
Dans une autre expérience de calcul, les enfants étaient d’abord livrés à eux-mêmes. Puis les chercheurs ont proposé aux uns de bouger leurs mains et aux autres de n’utiliser que des mots pour expliquer leur réponse. Ensuite, après avoir expliqué aux enfants comment résoudre le problème, on leur a donné à résoudre des problèmes identiques : les enfants qui avaient fait des gestes ont obtenu plus de réponses correctes que les autres.
Permettre aux enfants de s'exprimer par les gestes qu'ils connaissent et utilisent instinctivement lorsqu'ils parlent va donc accélérer l'apprentissage. À l’inverse, l'inhibition des gestes peut ralentir leur évolution...
Une étude à peu près similaire a abouti à la même conclusion. En effet, les enfants qui n’avaient fait que les gestes se souvenaient de la solution aussi bien que ceux qui avaient utilisé les gestes et les mots.
Les gestes que fait naturellement l’enfant reflètent donc non seulement des connaissances implicites, mais l’aident à les faire surgir.
D'où l'intérêt d'une éducation qui renforce le lien entre le geste spontané et la parole. Assurer la cohérence des deux est la manière la plus efficace de faire progresser l’enfant.
Susan Wagner Cook a appris également aux enfants à réaliser des égalités en mettant en pratique une stratégie par les gestes.
Les chercheurs ont ainsi découvert (en 2008) que demander à des enfants de faire des gestes particuliers adaptés à l’exercice (et non des gestes spontanés) les aide à mémoriser ce qu'ils apprennent.
On retrouve, une fois encore, la nécessité de cohérence dans l’éducation : le fait de corriger le geste spontané pour qu’il s’accorde avec la parole améliore la réflexion.
« Utiliser les gestes aide l'enfant à intégrer les informations. »
E – L'apprentissage des gestes en société - L'importance de la cohérence entre gestes et langage :
Ainsi, le langage a besoin de l’expression corporelle pour faciliter l’acquisition des connaissances de l'enfant.
Mais, pour cela, il est nécessaire qu’il n’y ait pas de contradiction entre la parole récemment acquise, et les gestes inscrits dans le patrimoine génétique. La conséquence probable serait un gaspillage énergétique, comme nous avons pu le voir dans le cas du mensonge.
Nous avons vu précédemment [cf : langage et détournement du souvenir] que les questions biaisées peuvent induire en erreur. Ainsi, lors d’un accident, plus les mots suggèrent un degré élevé de violence, plus le sujet interrogé estime que la vitesse des véhicules était élevée lors de la collision.
Il est donc facile pour un adulte d'amener l'enfant à percevoir autre chose que la réalité.
L’enfant est préprogrammé pour découvrir et apprendre. Mais il peut apprendre, de ceux qui l’entourent, le vrai comme le faux, que ce dernier soit involontaire ou volontaire.
Les mots induisent en erreur, mais les gestes en sont tout autant capables.
C’est ainsi que les chercheurs ont pu observer un enseignant dont les gestes involontaires amenaient des élèves à utiliser une stratégie erronée pour résoudre un problème de mathématiques.
De même, en interrogeant des enfants sur un personnage qu’ils avaient vu, et en leur demandant quels vêtements il portait, Sara Broaders (Université Northwestern) et Susan Goldin – Meadow (professeur de psychologie à l’université de Chicago) ont pu induire en erreur des enfants en faisant un geste évoquant un chapeau.
L’information constatée est bien souvent plus fiable…
...qu’une information recueillie qui peut être induite.
Les gestes, qui font intervenir une capacité de fonctionnement du cerveau plus ancienne que le langage pour analyser des situations et y répondre, sont devenus automatiques. Ils permettent au cerveau d'interpréter les dires de l'interlocuteur d'une manière plus primitive et plus objective. Ce faisant, ils permettent d'alléger la quantité d'informations que doit traiter le cortex moderne, améliorant ainsi sa capacité à porter son attention sur d'autres tâches.
La gestuelle, davantage liée à l'émotionnel, complète, en la validant ou non, l'information donnée par le langage verbal. Ce dernier, quant à lui, a surtout pour fonction de transmettre une connaissance collective, laquelle peut tout aussi bien améliorer ou pervertir la connaissance individuelle.
Si les gestes priment chez l'enfant, bientôt les mots domineront.
L'équilibre entre les deux est difficile mais possible .
« Pour une information valide,
gestes et paroles ne peuvent se contredire. »
C’est donc à partir des gestes que les bébés ont pu développer leur langage verbal, mais le geste n’est pas le seul support. Pour apprendre, le bébé doit aussi avoir conscience de l’information à traiter.
Comment peut-on détecter cette prise de conscience ?
F – Le langage verbal :
a - L’attention :
Au cours des années 1990, des chercheurs ont découvert qu’un bébé de deux à quatre jours cesse de bouger et devient attentif, lorsqu’on lui fait écouter le thème musical de l’émission préférée de sa mère, entendu avant sa naissance.
Bien plus, ils ont pu constater que, quelques heures seulement après leur naissance, les bébés différencient leur langue maternelle d’une langue étrangère.
Le fœtus peut donc déjà reconnaître et retenir certaines caractéristiques de sa langue maternelle. L’intérêt qu’il va y porter après sa naissance va permettre aux chercheurs de déceler ses capacités.
« L'intérêt porté à une information nouvelle
est la première caractéristique de la conscience. »
b - L’aptitude au langage:
Cette aptitude se révèle dès trois mois, comme l’ont montré les techniques d’imagerie cérébrale : les zones activées, dans le cerveau d’un nourrisson qui entend sa langue maternelle, correspondent aux aires du traitement du langage chez l’adulte.
Ainsi, bien avant que le bébé ne sache parler, les régions cérébrales du langage sont actives. Il peut traiter l’information verbale quasiment comme un adulte, même si ce langage n’est pas inné et qu’il devra l'apprendre.
Cette spécialisation précoce des régions dédiées au langage apparaît lorsque l’on s’intéresse au développement de la substance blanche dont nous savons qu’elle traduit le développement des réseaux de communication à l’intérieur du cerveau.
Des chercheurs (université collège de Londres (GB) et université Brown aux (EU), ont étudié la structure du cerveau de 108 nourrissons et jeunes enfants jusqu’à l’âge de 6 ans. En observant l’évolution de la répartition de la substance blanche au sein des deux hémisphères cérébraux, ils ont constaté une asymétrie entre les hémisphères droit et gauche.
Toutefois, ils ont constaté que cette asymétrie reste constante entre l’âge de 2 et 4 ans, alors qu’on s’attendrait à ce qu’elle s’accentue avec le développement du langage. Cela signifierait que, durant cette période, l’environnement joue un rôle plus important que l’organisation cérébrale déjà en place.
Le cerveau asymétrique du langage (substance blanche).
Si les aires du langage font partie des acquis...
le langage dépend du milieu dans lequel l'individu est plongé .
Ainsi, riches de leurs capacités cérébrales et de l’influence de leur environnement, les enfants se montrent capables d’apprendre à parler avant trois ans et même à développer leur propre langage [cf : pidgin].
Pourtant, aujourd’hui encore, les scientifiques s’interrogent toujours sur les modalités de l’apprentissage du langage.
En effet, il n’existe pas de gène à l’origine du langage : celui-ci doit s’apprendre. En revanche, les étonnantes capacités d’acquisition du tout petit et la rapidité avec laquelle il apprend à parler, sans apprentissage spécifique, par le seul fait de se trouver plongé dans l’univers des paroles de l’adulte, indiquent une prédisposition génétique à cet apprentissage. Cette prédisposition remonte très loin dans l’évolution des espèces : elle apparaît déjà dans la reconnaissance des sons qui vont permettre aux individus de communiquer pour s’informer d’un danger ou de la présence de nourriture. Encore une fois, cette reconnaissance commence par la reconnaissance des gestes, et se complète par celle des sons qui les accompagnent.
Reconnaissance des gestes.
Reconnaissance des sons.
c - L’organisation du langage: 1 - Discrimination des sons :
Des expériences basées sur les réactions comportementales du bébé ont montré qu’il est doté de compétences linguistiques bien plus étendues que ce que l’on imaginait, comme le fait de distinguer sa langue maternelle d’une langue inconnue. Il est également sensible à la prosodie, c’est-à-dire à l’intonation, à l’accentuation ou encore au rythme de la langue.
Pour cartographier les structures cérébrales mises en jeu dans le langage, les chercheurs ont longtemps utilisé la méthode des potentiels évoqués qui permet d’enregistrer l’activité électrique du cerveau grâce à un filet garni d’électrodes recouvrant le crâne du bébé.
Ils ont ainsi pu montrer qu’il existe déjà, dans le cerveau du nourrisson, une organisation en réseaux neuronaux spécialisés pour le traitement linguistique. Toutefois, ces enregistrements par EEG ne permettaient pas d’obtenir des résultats très détaillés.
Une première étude française utilisant l’I.R.M.f pour explorer le cerveau des nourrissons, a été mené à l’hôpital Necker – enfants malades de Paris, par le neurobiologiste Stanislas Dehaene et le neuro radiologue Lucie Hertz-Pannier.
Ces chercheurs ont fait écouter au bébé alternativement une histoire en lecture directe et en lecture inversée ; ils ont alors pu mettre en évidence les régions qui étaient activées lors du traitement de la langue maternelle (lecture directe).
L’intérêt de cette méthode consiste dans le fait que les séquences sonores délivrées présentent des paramètres acoustiques identiques (fréquence, intensité…). Si le cerveau du bébé réagit différemment, c’est parce que, dans un cas, il entend sa langue maternelle, dans l’autre, il est confronté à une langue qui lui est étrangère.
Non seulement ces nouveaux travaux ont confirmé la prédominance de l’hémisphère gauche du cerveau dans le traitement du langage chez le bébé, mais ils confirment d‘autre part une mémoire précoce de la langue maternelle.
C’est ainsi que les chercheurs ont pu constater que le gyrus angulaire, impliqué dans la mémoire des mots, est plus activé par la parole à l’endroit. Cela suggère que l’enfant a déjà mis en place une ébauche de vocabulaire à l’écoute de sa mère. De même, une autre zone, située au niveau du cortex préfrontal, siège des fonctions exécutives, est activée par la parole à l’endroit, mais uniquement chez les enfants éveillés. Cette activation frontale suggère l’existence de mécanismes d’attention chez le nourrisson, lesquels mettent en œuvre des régions cérébrales encore immatures.
Cette capacité de discrimination des sons fait que, dès la naissance, le cerveau du nourrisson repère des régularités dans le langage, c'est-à-dire la répétition de syllabes.
C’est ainsi qu’à seulement deux ou quatre jours de vie, il ne réagit pas de la même manière s’il entend « penana » ou « penaku », le premier mot comportant la répétition de la deuxième syllabe, tandis que le second contient trois syllabes distinctes.
Le mot qui contient deux syllabes identiques et contiguës (penana) n’active pas les mêmes zones de son cerveau que le mot qui présente des syllabes différentes ( penaku), ou semblables, mais séparées à l’intérieur du mot (par exemple : « penape »)
Jacques Mehler, chercheur à l’école internationale supérieure d’études avancées à Trieste - Italie, et son équipe ont ainsi pu constater de plus grandes activations dans les lobes frontal et temporal pour les premiers mots, régions qui jouent un rôle important dans la compréhension et la production de la parole.
Ces expériences montrent également que l’acquisition des mots par le bébé ne se fait pas de façon globale, mais par la détection des syllabes.
Une autre étude réalisée par des chercheurs de l’université de Washington, a montré que certaines régions du cerveau chez le nourrisson de 6 mois (dans l’hippocampe et le cervelet) permettent de prédire ses aptitudes langagières à l’âge d’un an.
Ceux qui ont le mieux réussi les tests à un an sont ceux qui présentaient la plus forte densité de matière grise et blanche dans le cervelet et l’hippocampe, quatre mois plus tôt.
Si l’importance de la mémoire justifie celle de l’hippocampe, l’importance du cervelet impliqué dans les apprentissages moteurs pourrait indiquer le rôle de la gestuelle dans l’acquisition du langage.
C‘est ainsi que des chercheurs de l’université de Stockholm ont pu confirmer que la compréhension du langage est facilitée par les gestes, les expressions du visage et les mouvements des lèvres qui accompagnent les sons produits et renforcent le sens des mots.
L'explosion du vocabulaire :
Fort de toutes ces capacités, le bébé apprend très vite. A 12 mois seulement, il comprend entre 65 et 110 mots.
À 18 mois, l’enfant devient très bavard, aimant montrer l’étendue de son vocabulaire. Au cours de sa deuxième année, il va décupler le nombre de mots acquis au cours de la première.
A raison de 10 nouveaux mots retenus chaque jour, il en connaîtra environ 60 000 à l’âge adulte.
La richesse de son environnement intervient grandement dans cette acquisition rapide du vocabulaire : sa curiosité est en effet stimulée non seulement par les objets nouveaux, mais aussi par la découverte que ces objets ont des noms. Enfin, il saisit très rapidement que le moindre de ses babils attire la foule autour de lui, ce qui va l’inciter à parler.
Toutefois, au cours des 18 premiers mois de sa vie, le bébé travaille dans la plus grande discrétion : les quelques mots qu’il emploie, simples et répétés par son entourage (papa, maman, doudou), semblent indiquer une évolution laborieuse. Pourtant, c’est le moment où il construit tout son savoir avec les mots plus complexes qu’il entend. Il écoute, saisit le sens, mémorise, puis, grâce à son esprit de déduction, il va inférer de nouveaux mots à partir de ceux qu’il connaît déjà.
C’est cette même capacité de déduction qu’utilise l’adulte pour apprendre de nouveaux mots : il lui est possible de deviner le sens d’un mot inconnu, utilisé au cours d’une conversation dans laquelle tous les mots sont connus. Par exemple, s’il va consulter son médecin il lui sera possible de déduire le terme médical inconnu auquel sont rattachés tous les symptômes qui l’affectent. En connaissant tous les mots sauf un, il est possible de le comprendre puis de le mémoriser.
2 - Une grammaire universelle :
En dehors de la simple acquisition d’un dictionnaire des mots évoquant un objet ou une situation (acquisition dévolue à la mémoire), comment le langage de l’enfant s’organise-t-il ?
Déjà, au cours des années 1950, le linguiste américain Noam Chomsky émettait l’hypothèse que les bébés naissent avec des compétences innées qui leur permettent d’intégrer et exploiter les règles grammaticales de toutes les langues.
La gestuelle n’y est pas étrangère.
Depuis, les chercheurs ont pu vérifier qu’à partir de deux ans seulement les enfants sont capables d'effectuer des repérages syntaxiques pour reconnaître qu'un mot est un nom ou un verbe.
Par exemple ils reconnaissent un mot, même inconnu, comme étant un verbe dans la phrase « il y a une pomme qui dase », où le nom dans la phrase « regarde la dase »
À l’inverse des adultes qui peinent dans l’apprentissage d’une seconde langue, les bébés apprennent à parler avec une facilité déconcertante. Ils découvrent par eux-mêmes le sens des mots, parviennent à les combiner tout en respectant la syntaxe de leur langue maternelle.
Même lorsqu’il se trompe, parce qu’il n’a pas encore appris les formes contractées du langage, un enfant fait preuve de logique. Il dira, par exemple, « le chat de le voisin ».
Il peut même créer de nouveaux verbes qui, bien qu’inexacts, seront grammaticalement justes.
3 - Les langues étrangères :
Ces aptitudes au traitement du langage concernent-elles uniquement la langue maternelle ?
Il n’en est rien. Quelques minutes seulement au contact d’une langue étrangère suffisent à un nourrisson de quatre mois pour remarquer des subtilités grammaticales comme le lien entre verbe auxiliaire et terminaison verbale. Ainsi, on a pu constater que des bébés allemands initiés à l’italien réagissent aux phrases grammaticalement incorrectes.
Une autre expérience, menée par Christine Moon (professeur de psychologie à l’université Pacific Lutheran de Tacoma – EU) et son équipe vient de montrer que, quasiment dès la naissance, les bébés dont nous avons vu qu’ils possèdent la capacité d’apprendre et de mémoriser les sons élémentaires de leur langue maternelle, sont aussi capables de les différencier d’une autre langue.
Pour cela, les chercheurs ont constitué deux groupes de bébés : un premier groupe composé de nouveau-nés américains, le second composé de nourrissons suédois. La particularité de ces langues est que certaines voyelles sont prononcées de manière quasi identique. Seulement 30 heures après leur naissance, en écoutant ces voyelles, « les nouveau-nés ont manifesté beaucoup moins d’intérêt pour les voyelles prononcées dans leur propre langue que dans la langue étrangère dont les sonorités les interpellait davantage.
Ainsi, pour l’enfant, apprendre une deuxième langue dès les premières années de sa vie ne nécessite aucun effort. Le bilinguisme est pour lui tout à fait naturel et n’a au contraire que des bénéfices. Plus tard, le même apprentissage lui demandera davantage d’efforts car l’extraordinaire plasticité cérébrale qui caractérise le nourrisson décroît rapidement à la puberté.
Cependant, apprendre une langue pour un enfant est quand même une tâche difficile. Aussi, les jeunes bilingues mettent-ils plus de temps pour maîtriser une langue, car ils doivent diviser par deux le temps consacré à l’apprentissage. Ce n’est que vers 5-6 ans, qu’ils seront capables de maîtriser parfaitement les deux langues.
Dans quel ordre ces composantes s’assimilent-elles : il s’agira d’abord des sons, puis du vocabulaire, et enfin de la syntaxe qui définit les combinaisons de mots pour produire des phrases.
On peut en effet supposer que les enfants devraient connaître les mots et leur sens pour pouvoir les agencer en phrases.
Il n’en est rien. La syntaxe des phrases semble au contraire les aider à retenir les mots. C’est ce qu’a pu montrer une étude réalisée par une chercheuse américaine : les enfants aveugles ont un développement lexical identique aux autres. Alors qu’ils n’ont pas fait l’expérience de la vue, ils savent faire la différence entre « regarder » et « voir » en même temps que les autres
Pour cela, les enfants aveugles utiliseraient la syntaxe des mots pour se repérer, compensant ainsi leurs carences fonctionnelles.
d - Le passage du langage visuel au langage verbal :
Comment se fait la transition entre langage des gestes perçu visuellement, et langage verbal perçu par l’ouïe ?
Une phrase est toujours associée à une image (par exemple une pomme immobile, ou une pomme qui se balance). Cela signifie que la syntaxe visuelleest à l'origine de la compréhension de la syntaxe verbale, qui la traduit en conservant la même structure.
Néanmoins, pour que le langage s’assimile dans les meilleures conditions, il est nécessaire que la description des situations faites au bébé, et qu’il découvre, respecte les mêmes règles grammaticales (par exemple, en français, la succession sujet-verbe-complément). Or ces règles sont diverses du fait de la multiplicité des langues et de leurs grammaires aux règles bien souvent opposées. C’est ainsi que le sujet de la phrase peut, selon les langues, voire dans la même langue, se situer en début ou en fin de phrase.
Par exemple, la phrase « Un chat a attrapé une souris » peut être traduite en russe selon les manières suivantes :
L'enfant apprendra donc plus difficilement si on varie les tournures de phrase, alors que la situation décrite est identique. On comprendra alors le retard apparent dans l’apprentissage du langage chez l’enfant qui doit assimiler des langues aux constructions grammaticales différentes.
« A l'origine de la compréhension de la syntaxe verbale,
on retrouve la syntaxe visuelle,
c'est-à-dire la façon dont les gestes s'ordonnent pour créer un langage. »