« Nous échouons à traduire entièrement ce que notre âme ressent :
la pensée demeure incommensurable [*] avec le langage. »
Henri Bergson
(philosophe français)




A la source du langage,
L'évolution de la communication.







    L’expression du langage humain se manifeste sous deux formes : parlée et écrite. Comment sont-elles apparues, comment ont-elles évolué ?

2 – L’évolution de la communication humaine – du langage verbal aux langages mathématiques :

    A – Définir le langage :

        a – Définition :

    Le langage peut être défini comme un système de communication qui permet à un individu ou à un groupe d’échanger des idées, des pensées et des émotions, d’expliquer des situations, à travers des sons, des mots, des signes corporels et des symboles.
Il est devenu un moyen de communication indispensable pour assurer la cohésion et le développement des sociétés humaines.

    Ce terme désigne à la fois :
- la faculté de se représenter une chose concrète ou une idée, on appelle cela un concept.
- la langue qui permet à un peuple de communiquer.

    Or, les avis divergent parmi les philosophes grecs. Platon soutient que la langue permet une communication efficace, Gorgias estime qu’elle ne peut représenter ni l'expérience objective, ni l'expérience humaine car elle souligne la difficulté de transmettre la réalité. Elle peut être imprécise et se heurter à l’interprétation de son auditeur. Elle peut même aller jusqu’à exprimer une idée opposée à la réalité, et on l’appelle alors « mensonge » ou « désinformation » que nous connaissons bien aujourd’hui.

Information reçue.

La communication a été efficace car l’objet est reconnu...

Information imprécise.

... mais elle est imprécise, car elle ne dit pas à quoi ressemble la table.

Qu’en est-il pour le langage du rêve ? Ses images sont elles imprécises ou, au contraire, trop détaillées? Traduit-il la réalité des événements, ou la seule réalité du rêveur ?

        b - Un ensemble de systèmes complexe, sous contrôle cérébral :

    Le langage humain, en effet, est un système complexe qui requiert l'acquisition, le développement et la coordination d’ organes de communication variés que ne possèdent pas les autres espèces de manière aussi développée. Cette différence a entretenu l’idée que l’homme était le seul à posséder un langage.

    En effet, pour accéder au langage parlé, le cerveau doit maîtriser de nombreuses aptitudes.
- percevoir des sons et des images, et les répertorier dans sa mémoire,
- analyser les sons selon leur intensité et leur fréquence, ou les images selon les formes et les couleurs,
- les comprendre,
- produire les mots nécessaires et les organiser entre eux,
- transmettre les informations grâce aux organes générateurs de sons,

        c - le langage, un traducteur peu fiable pour traduire la richesse de la pensée :

    Certains philosophes, tel Hegel, ont pu penser que le langage ne sert pas à communiquer notre pensée, mais qu’il la constitue.
De son côté, le linguiste Ferdinand de Saussure dira que, « abstraction faite de son expression par les mots, notre pensée n'est qu'une masse amorphe et indistincte ».
En effet, nous avons tellement l’habitude de raisonner avec le support des mots que, sans eux, notre pensée nous apparaît floue et insaisissable.
C'est pourquoi Hegel pourra dire que « vouloir penser sans les mots est une tentative insensée ».

    Il y a une raison à cela : le langage qui formalise notre pensée passe par un outil cérébral qui traduit les sensations en mots. Or la pensée est en tout premier lieu attachée à traiter les informations en provenance des sens.
Ainsi, en s’attachant à une succession de mots qui trahissent la réalité en la simplifiant à l’extrême, elle a perdu sa connexion avec ce qui lui donne un sens.

Bébé sensible aux parfums.
Pensée reliée aux sensations.

Difficile d'imaginer.
Pensée traduite par le langage – perte de l’odeur et image schématisée.

    D’ailleurs, Combien de fois en effet, voulant exprimer une idée nouvelle, un sentiment particulier, nous sommes nous exclamés : « je n'arrive pas à dire ce que je ressens ».

    Notre pensée n’est pas floue, elle exprime instantanément un besoin et, par le biais d’une émotion, dirige une réaction immédiate.
Le langage doit la figer et la réorganiser en fonction de critères sociaux avant de permettre la réaction.

Attaque d'un lion.
Sentiment de danger > Fuite

Réaction trop lente.
Réflexion face au danger > Trop tard.

    Effectivement, nous sommes aujourd’hui parvenus à décrire le monde mot à mot, mais nous sommes devenus incapables de le percevoir dans sa profondeur.

    Que pouvons-nous alors dire du langage ?

    Tout d’abord, le langage structure et transmet au mieux notre perception du monde.
C’est ainsi que les anthropologues E. Sapir et B. L. Whorf ont pu montrer que des langues différentes rendent compte de perceptions du monde différentes : par exemple, les Inuits qui vivent dans un monde enneigé ont un vocabulaire très riche pour distinguer les diverses sortes de neiges et de glaces.
    De même les chercheurs en contact permanent avec le monde animal peuvent reconnaître et donner un nom à chaque membre d’une tribu de singes [cf : Du potentiel inné à la spécialisation].
En ce sens, le langage subit le sort des capacités de l’enfant qui peuvent, par exemple, accéder à l’usage et la compréhension de toutes les langues jusqu’à ce que la langue maternelle, en imposant son usage, lui fasse perdre ses capacités d’adaptation. Il en va de même pour la reconnaissance des visages.
La perception conserve une grande richesse, mais sa description s’élabore en fonction des besoins de la communauté et de l’étendue de son vocabulaire.


« En liant sa pensée aux mots,
l’homme a perdu l’essentiel de sa capacité à ressentir »


    B – Du langage verbal aux langages mathématiques :

        a – La théorie de la continuité :

    Si l’on élude toutes les étapes de l’évolution, et que l’on se cantonne à la seule espèce humaine, on a pu constater que les théories sur l'origine du langage sont très variées :
- il a évolué à partir de systèmes pré-linguistiques chez nos ancêtres hominidés,
- il a surgi au cours de la transition entre les hominidés primitifs et homo sapiens,
- l’apprentissage du langage est une faculté innée partiellement codée génétiquement,
- c’est un système essentiellement culturel,

    Aujourd’hui, les théories fondées sur une évolution continue sont retenues par une majorité de chercheurs. Seules les causes présumées de son apparition diffèrent : certains considèrent qu’il est précédé par la cognition alors que d’autres pensent qu'il a débuté avec la communication animale pour se poursuivre chez les primates avant d’aboutir à l’homme.

    Ces théories de la continuité s’intéressent donc à la fois au langage humain, et aux comportements animaux. Par exemple le chant des oiseaux pourrait être une piste pour les modèles qui suggèrent un développement du langage à partir de la musique.

        b - Aux origines de l’homme - Le protolangage :

    Les linguistes s’accordent sur un développement en 2 temps.
Les hominidés auraient d’abord développé un proto langage, système de communication simple, à base de sons possédant une signification, mais sans syntaxe. La syntaxe aurait ensuite permis au langage d’évoquer des situations plus complexes, situées dans des époques et des lieux différents, voire des scènes imaginaires.

    C’est ainsi que la théorie la plus couramment admise sur le langage des origines est la théorie du proto langage avancée par le linguiste Derek Bickerton en 1990.
Présumé parlé par Homo erectus, ce langage sans grammaire ne serait composé que d’onomatopées ou de sons évoquant des actes ou objets concrets : « arbre », « manger », « danger », « marcher », « bon » « mauvais ».
La simple juxtaposition de deux ou trois sons (ou « mots ») pouvait suffire à déterminer le sens de l’énoncé [cf : les vocalises des mones].
Parfaitement adapté aux activités quotidiennes, ce langage ne permettait pas d’élaborer des récits complexes ou des discours abstraits.

    Néanmoins, Derek Bickerton a pu montrer comment ce langage primitif avait évolué vers un système élaboré en s’intéressant aux langues créoles. Les esclaves africains déportés dans les colonies ne parlaient pas tous la même langue. Pour communiquer entre eux, ils utilisaient des pidgins, langages dénués de syntaxe qui se sont progressivement transformés en véritables langues : les créoles. Cette capacité évolutive se retrouve dans le langage des enfants.

    Si l’élaboration d’un proto langage sans syntaxe est attribué au genre hominina, on remarquera que la Mone de Campbell de la famille des cercopithèques, possède une syntaxe qui lui permet de décrire des situations différentes malgré un vocabulaire sonore restreint.


Philogénie des primates.
Phylogénie des primates.

    Une communication basée sur la juxtaposition de simples sons a donc également pu apparaître et précéder le proto langage chez nos ancêtres : dans un espace restreint, ce mode de communication était suffisant, comme c’est le cas pour les espèces actuelles.
Plus tard, la diversité des environnements explorés au fil des migrations a enrichi le vocabulaire du genre homo.

    Cette importance des migrations apparaît dans la communication limitée des espèces sédentaires, parfaitement adaptées à une niche écologique.
Cette caractéristique apparaît aussi dans les travaux de Quentin Atkinson qui, dans une base de 504 langues, a observé que certaines langues africaines comptent plus de 100 phonèmes [Note chapitre précédent], alors que le hawaïen, qui est la langue la plus éloignée du berceau africain, n'en compte que 13 : le nombre de sons émis sur un territoire réduit et isolé se révèle bien inférieur à celui qu’impose la variété des paysages et dangers sur un vaste continent.


Hawaii.
Afrique.
Archipel d’Hawaï 13 phonèmes – Afrique 100 phonèmes

« La richesse du langage est en relation
avec la variété des environnements et des situations vécues. »

    Chez les espèces sédentaires, les sons suffisent à la communication des informations vitales. Ce sont les environnements variés qui sont à l’origine du langage élaboré : ce langage est propre au nomadisme.
Aujourd’hui on peut assister à ce développement du vocabulaire lié aux déplacements internationaux.

        c – L’évolution du langage au cours d’une génération :

    A défaut de savoir comment le langage a évolué au cours des millénaires, on peut toutefois s’intéresser à la façon dont il évolue au cours d’une génération humaine.
La façon dont l’enfant commence à prononcer ses premiers mots semble appuyer l’hypothèse du proto langage.
Comment communique-t-il avant de parler ? En effet, alors qu’il ne parle pas encore, il entend.

            1 - Le développement du langage chez le tout petit :
    - Les premières ébauches du système auditif apparaissent à 10 semaines de gestation.
À 18 semaines, la cochlée commence à envoyer des informations sonores au cerveau.
Femme enceinte.
Oreille interne.
Fœtus et cochlée.

    Toutefois, selon les scientifiques, ce n’est pas avant la 26ème semaine de grossesse que l’audition deviendrait fonctionnelle. Elle s’ouvrirait alors sur l’ensemble des sons provenant tant de l’extérieur que du milieu intérieur maternel (battements du cœur de la maman ou bruits digestifs).

- Le fœtus reconnaît la voix de sa mère dès le 7ème mois de grossesse : lorsqu’il la perçoit, son rythme cardiaque s’accélère. Ce sont surtout les inflexions musicales qui attirent son attention car il se détourne d’elle si elle s’exprime sur un ton monocorde ou criard.
À partir du 8ème mois de gestation, la cochlée a achevé son développement et l’ouïe du fœtus s’affine, c’est pourquoi le nouveau-né reconnaîtra des comptines entendues dans le ventre de sa mère.

- Il va ensuite apprendre à parler. À deux ans il se montre capable de reconnaître qu'un mot est un nom ou un verbe et vers trois ans il aura acquis une maturité verbale identique à celle de l'adulte.


De la cellule à l'enfant.
Ovule et spermatozoïdes, Morula, Gastrula, fœtus, enfant.

    Après 9 mois de gestation et 3 ans de développement social, l’enfant est passé de la cellule à l’organisme évolué. En même temps il est passé de la communication entre cellules à la communication entre enfants.

Communication entre cellules.
Communication entre enfants.
De la communication entre cellules isolées à la communication entre cellules au sein d'organismes vivants.

    Il a acquis tous les sens nécessaires à la communication corporelle puis au langage.
Sa maturation est alors achevée. Elle peut parfois avoir été réorientée vers une communication sonore différente, empruntée à une famille animale d’adoption comme c’est le cas pour les enfants sauvages.


Remus et <romulus nourris par une louve.
Louve allaitant Remus et Romulus.

            2 - Les bases sonores du langage :
    Si, à la naissance, le bébé est capable d’entendre, il ne sait pas encore parler. Comment s’exprime-t-il alors ?

Graphique des pleurs d'un bébé.
Pleurs de bébé.


Audio : Pleurs de bébé.


Graphique des miaulements d'un chaton.
Miaulements de chaton.


Audio : Miaulements de chaton.

    En comparant les sons émis par le chat et le bébé, on constate que les sons émis sont des sons de gorge, et qu’ils permettent à l’auditeur de ressentir ce qu’ils expriment. L’émotion ressentie indique une communication bien réelle, même si l’on ne peut pas encore parler de proto langage.

    Ce mode de communication pourrait-il devenir un langage si une grammaire commençait à naître ?
C’est ce que l’on découvre chez la Mone de Campbell qui ajoute aux vocalises d’alerte des suffixes qui indiquent la nature et la dangerosité d’une menace.

Ainsi, dans la forêt de Taï, en Côte d’Ivoire, le son « hok » permet d’alerter de la présence d’un danger en provenance du ciel.

Graphique du Hok.
Hok


Audio : Hok.

    Si la menace s’atténue, ou si elle est moins grave (chute de branche), le suffixe « oo » viendra préciser le degré de l’alerte.

Graphique du Hok-oo.
Hok-oo.


Audio : Hok-oo.

    Pourrait-on maintenant comparer les vocalises de l’animal au langage verbal de l’homme ? Cette fois encore les graphiques sonores peuvent nous donner une indication :

Graphique du Hok.
Danger en provenance du ciel : « Hok »


Graphique du langage humain.
Langage humain : « alerte ciel »


Audio : Langage humain : « alerte ciel »

    Dans le premier cas le son est bref et suffit à alerter du danger, dans le deuxième cas les sons articulés sont plus détaillés, on peut y discerner les syllabes et avoir une indication du temps nécessaire pour indiquer l’alerte.

« Le développement du fœtus décrit le passage de la cellule à l’organisme.
On retrouve, dans le développement de l’enfant, les étapes de l’accession de l’homme au langage. »


    Les cellules, nous l’avons vu, communiquent entre elles et s’avèrent capables de percevoir des informations puis de les stocker pour un usage ultérieur, alors même que l’enfant en construction n’est pas encore capable de communiquer ces découvertes.
Durant toute leur évolution, l’activité des cellules consiste à aller chercher les informations de plus en plus loin. L’homme adulte n’échappe pas à ce processus qui l’amène même à chercher au plus profond de l’Univers des informations que l’on pourrait qualifier d’inutiles.

Fond diffus cosmologique.
Fond diffus cosmologique.

    Quant aux cellules nerveuses en particulier, elles communiquent aussi entre elles avant même que l’être vivant dont elles coordonnent les actions ne communique avec un autre par l’intermédiaire du langage...
La conscience (dont nous avons vu que les potentiels se développent de l’arrière vers l’avant du cerveau) est elle aussi le résultat d’un transfert d’informations. Elle débute au sein de notre inconscient fait de cellules communicantes, avant même que notre lobe frontal ne nous en restitue la conscience.

    Pourtant, si la « conscience » du monde semble commencer par la cellule, une cellule seule à des capacités limitées…
Ses capacités augmentent lorsqu’elle s’associe à d’autres cellules au sein d’un organisme pour communiquer avec d’autres entités extérieures.
De même, un homme seul serait bien incapable de savoir qu’il existe d’autres planètes dans l’Univers, sans l’association avec d’autres hommes dotés de capacités complémentaires.

La roue de chariot.
La roue de chariot (James Webb Space Telescope).

    L’intelligence et la conscience de chaque être humain alliées à la capacité de communiquer permet au groupe d’élargir la conscience de chacun.

« L’homme se perçoit intelligent.
Ce sont pourtant ses 37200 milliards de cellules travaillant en harmonie
qui expriment leur propre intelligence. »


        d – L’évolution vers les langages abstraits :

            1 – Les mathématiques :
    L'activité mathématique, intellectuelle, laisse rarement des traces exploitables pour l'archéologie. Aussi, les mathématiques préhistoriques sont-elles mal connues.
    Les os d'Ishango, découverts au Congo et datés d’environ 20 000 ans, semblent indiquer une pratique de l’arithmétique. Pourtant, les résultats obtenus demeurent controversés.
Considérant l’existence actuelle de groupes ethniques qui se contentent d’une arithmétique basée sur les chiffres 1, 2, 3 et beaucoup, on peut toutefois admettre qu’une représentation numérique simple suffisante à l’information et au commerce pouvait déjà exister.

Une maison et trois maisons.
Peu de maisons.
Beaucoup de maisons.
Beaucoup de maisons.
    Toutefois, c’est donc seulement avec la naissance de l'écriture que les premières mathématiques utilitaires sont attestées (en économie, pour les calculs de surface). Le premier système numérique positionnel apparaît, basé sur le système sexagésimal. Pendant près de deux mille ans, grâce au support de l’écriture permettant de conserver et transmettre les calculs, les mathématiques vont se développer dans les régions de Sumer, Akkad puis Babylone. Elles vont aboutir à des calculs complexes, par exemple des algorithmes d'extraction de racines carrées, de racines cubiques, ou encore la résolution d'équations du second degré.
    Sur certaines tablettes figure la liste des triplets pythagoriciens montrant que les Sumériens connaissaient la propriété des triangles rectangles plus de 1 000 ans avant Pythagore.
Vers 1000 av. J.-C., on observe aussi un développement du calcul orienté vers l'astronomie.

Tablette Plimpton.
Plimpton 322, tablette babylonienne énumérant les triplets pythagoriciens.

    En Egypte, les meilleures sources sur les connaissances mathématiques sont le Papyrus de Moscou (1850 av. J.-C.), et le Papyrus Rhind (1800-1550 av JC), de plus de 5 mètres de longueur, qui contient 87 problèmes résolus d'arithmétique, d'algèbre, de géométrie et d'arpentage.
Papyrus de Moscou.
Papyrus Rhind.
Le papyrus de Moscou, et le papyrus Rhind.

    Les Égyptiens ont surtout utilisé les mathématiques pour le calcul des salaires, les calculs de surface et de volume, pour la gestion des récoltes et pour les travaux d'irrigation et de construction.

Dans la civilisation maya (-2600 à 1500 ans après J.-C.), les mathématiques sont principalement numériques et tournées vers le comput calendaire et l'astronomie.

Plus récentes sont les traces de calculs mathématiques en Chine, en Inde ou en Grèce.

    Pourrait-on de plus considérer les mathématiques comme un langage ? C’est ce qu’envisage Galilée, dans son ouvrage « l’essayeur » en 1623.
« La philosophie (ici synonyme de science) est écrite dans ce très vaste livre qui constamment se tient ouvert devant nos yeux – je veux dire l’univers – mais on ne peut le comprendre si d’abord on n’apprend pas à comprendre la langue et à connaître les caractères dans lesquels il est écrit. Or il est écrit en langage mathématique et ses caractères sont les triangles, les cercles, et autres figures géométriques, sans lesquels il est impossible d’en comprendre un mot, sans lesquels on erre vraiment dans un labyrinthe obscur. »

    Si les calculs mathématiques permettent de représenter des formes et des trajectoires évoluant en fonction du temps, ils facilitent aussi les échanges commerciaux. On peut donc considérer qu’ils font parties des moyens de communication.


Triangle.
Triangle.

Orbite de la Terre.
Orbite de la Terre selon les saisons.
    Leur transformation au fil du temps traduit non seulement les nouveaux besoins incitant à la communication au sein des collectivités (commerce, construction...), mais également l’évolution de la communication entre cellules cérébrales.

    Deux équipes de chercheurs, l’une de l’INSERM menée par Stanislas Dehaene et l’autre de la Salpêtrière menée par Laurent Cohen, ont pu montrer qu’au niveau du cerveau les calculs mettaient en jeu principalement deux voies : une voie langagière qui correspond à la manipulation automatique des chiffres et s’exprime par des formules de calcul, et une autre voie dite sémantique qui porte sur la signification des nombres. Cette dernière serait directrice.
    De plus, les mathématiques offrent de multiples possibilités de compréhension de l’environnement et de prévision des événements. Elles complètent ainsi des informations reçues par l’oeil (comme voir le Soleil et la Lune) et, à partir d’un calcul, elles permettent de déterminer les événements à venir (une éclipse par exemple).
Le résultat obtenu, traduit en langage verbal, permet alors de transmettre l’information obtenue.

Les mathématiques s’insèrent donc dans le langage comme un moyen qui permet de préciser la réponse à une interrogation.

Interrogation.
La question posée...

Calcul.
...nécessite un calcul...
Réponse.
...pour obtenir une réponse.
    Toutefois, dans le cas des mathématiques, le code utilisé consiste à faire soi-même la démarche de calcul qui permettra d’obtenir ou de transmettre les informations souhaitées.
On pourrait alors dire que le langage mathématique est un langage tourné vers soi-même, un langage intérieur qui permet d'obtenir la réponse souhaitée en lui donnant plus de précision. Pour être comprise, cette dernière devra être traduite en langage verbal.


« Grâce à un langage codé, les mathématiques permettent
de trouver les réponses aux questions que l’on se pose »


            2 – Le lambda-calcul :
    Comment les langages mathématiques peuvent-ils s’inscrire dans la grande famille des langages ?
Un langage inventé en 1932 par le mathématicien américain Alonzo Church pour résoudre des questions de logique pure, le lambda-calcul pourrait nous donner une indication.
En effet, dès les années 50, des logiciens et linguistes ont vu, dans ce langage, des structures logiques sous-jacentes aux langues naturelles dont tous les énoncés et tous les mots peuvent être vus comme des programmes informatiques.

    Utilisé depuis 50 ans par les informaticiens pour écrire leurs logiciels, ce langage permet de mettre à jour la logique qui sous-tend les langues naturelles de façon beaucoup plus claire et concise que n’importe quelle autre théorie linguistique.
Ce langage a été repris par Jean-Louis Krivine, un mathématicien et logicien français qui y a vu la structure logique qui régit nos fonctions cérébrales.

    Concrètement, la ressemblance que l’on peut imaginer entre un ordinateur et le cerveau ne se situerait pas au niveau de la machine proprement dite, faite de circuits imprimés ou de neurones, mais au niveau du système de logiciels implémentés dans la mémoire.
Le lambda-calcul interviendrait entre la couche des circuits électroniques et le langage évolué de programmation dont se servent les informaticiens pour écrire leurs logiciels : l’idée serait que notre cerveau procède de cette manière.

    Pour Jean-Louis Krivine, plusieurs couches se superposeraient aussi bien dans un ordinateur que dans notre cerveau, et les langues parlées par les être humain pourraient être vues comme l’interprétation, dans un langage élaboré, des calculs neuronaux sous-jacents.


Langages de la matière.
Organisation...

Langages de la vie.
...des différentes couches...
Langages mathématiques.
...de Lambda-calcul.


Lambda-calcul.
L224 : Similitudes entre le langage de programmation et le langage naturel.

    La découverte d’une structure commune à 6000 langues et dialectes conforterait l’existence de cette couche de lambda-calcul commune à tous les êtres humains.

    En 1931, le logicien autrichien Kurt Gödel a fait la démonstration d’un théorème célèbre : le théorème d’incomplétude.
En traduisant dans le lambda-calcul la démonstration de ce théorème, Jean-Louis Krivine en a déduit qu’il correspondait au programme réparateur du système de fichiers d’un ordinateur.
    Ce programme informatique, présent dans tous les ordinateurs, intervient lorsque la machine est éteinte brusquement, avant que les programmes en fonction ne soient fermés : lors du démarrage suivant, durant une période où l’ordinateur ne peut être utilisé, il fait défiler les fichiers et répare ceux qui ont été altérés.
Kurt Gödel aurait donc élaboré un programme informatique indispensable au bon fonctionnement d’un ordinateur, avant que celui-ci ne soit inventé !
    Selon Jean-Louis Krivine, ce programme serait également présent dans notre cerveau en entrant en fonction au cours du sommeil, et les rêves seraient justement un moyen de restaurer, dans leur état d’origine, les « fichiers » altérés.

Pour certains linguistes « la théorie de Krivine serait la première piste sérieuse sur l’origine du langage des hominidés. »

« Selon la thèse de Krivine, le lambda-calcul mimerait les activités cérébrales
et pourrait expliquer l’activité du cerveau au cours du sommeil paradoxal :
il servirait à restaurer des programmes altérés au cours des activités diurnes. »


            3 – La physique :
    La physique a pour objet l'étude de la matière et de ses propriétés fondamentales.
Des théories comme la relativité restreinte (1905), la relativité générale (1915) ou la mécanique quantique permettent alors de décrire les phénomènes à l'œuvre à l'échelle atomique et subatomique, phénomènes bien souvent totalement ignorés du commun des mortels car inaccessibles aux sens.

    Cette science, qui s’appuie sur le langage mathématique, le complète en permettant de concevoir les outils, véritables prolongements de l’œil et de l’ouïe, qui vont réceptionner les informations recherchées.


Télescope.
Le télescope, prolongement de l’œil humain.

Radiotélescope
L226 : Le radiotélescope, prolongement de l’oreille humaine.

    La physique permet alors de décoder les différentes ondes en provenance de la voûte céleste afin de les traduire en images. Elle devient ainsi l’outil qui permet d’entendre et de comprendre le langage de l’Univers, qu’il soit infiniment grand ou infiniment petit, afin de transformer ce qui nous est invisible en images accessibles à nos sens.

    Toutefois peut-on vraiment comparer un radiotélescope à un œil ou une oreille ?
Pour y parvenir, il faut tout d’abord s’interroger sur ce qu’est une onde.
Une onde est une perturbation qui se propage dans l’espace environnant. Cette perturbation ne transmet pas de la matière mais de l’énergie dont la valeur dépend de sa nature et de son intensité.

    Il existe trois principaux types d'ondes :
Les ondes mécaniques qui se propagent à travers une matière physique dont la substance se déforme.
Les ondes électromagnétiques qui se propagent en entraînant des variations de champ magnétique et de champ électrique. Elles ne nécessitent pas de support physique.
Les ondes gravitationnelles, elles aussi, ne nécessitent pas de support. Ce sont des déformations de la courbure de l'espace-temps qui se propagent.

    Ces trois types d’ondes varient en fonction de leur longueur.
Les ondes mécaniques sont constituées par les infrasons, les sons et les ultrasons. Seuls les sons sont entendus par les êtres humains.
Les ondes électromagnétiques sont constituées par les ondes radioélectriques, les micro-ondes, le rayonnement infrarouge, la lumière visible, le rayonnement ultraviolet, les rayons X et les rayons gamma. Seules les ondes de la lumière visible nous sont perceptibles.
Les ondes gravitationnelles ne sont pas accessibles à nos sens et doivent être interprétées pour que nous y ayons accès.



Ondes sonores.
L227 : Ondes sonores.

Ondes mécaniques et électromagnétiques.
Propagation des ondes mécaniques et électromagnétiques.

Ondes gravitationnelles.
Propagation des ondes gravitationnelles.

    Observons maintenant l’image d’un ciel étoilé.

Ciel étoilé.
Ciel étoilé.


    Les ondes lumineuses visibles, une fois détectées, sont traduites en image par le cerveau, puis celui-ci va traduire l’image en langage verbal et la transmettre par le biais d’ondes mécaniques sonores.

De la  vision au langage.
De la vision au langage. (ondes électromagnétiques).


Du langage à la vision.
Du langage à la vision. (ondes mécaniques).

    Entendons maintenant les mots « Ciel étoilé », et voyons-les se dessiner en courbe sur l’écran : les ondes constituées par la succession des fréquences sonores sont bien des éléments d’un langage qui véhicule des informations.

Graphique de la phrase
La suite de fréquences sonores...


... est restituée dans la phrase : « Ciel étoilé. »

    De même que notre cerveau traduit les ondes lumineuses qu’il perçoit en images avant de les transformer en ondes sonores pour les partager, les machines effectuent un travail similaire avec les ondes électromagnétiques et gravitationnelles.

Décodage des ondes électromagnétiques en image..
Etoiles – ondes gravitationnelles – radiotélescope – traducteurs informatiques - image - œil


    Ainsi, les différents rayonnements en provenance de l’univers, insaisissables par nos sens, peuvent être traduits en images et nous dévoiler l’évolution des phénomènes.
C’est alors que les trous noirs, objets les plus invisibles de l’Univers, sont apparus à nos yeux.

Trou noir M87*.
Le disque d'accrétion du trou noir M87*
imagé par l'Event Horizon Telescope.

    Même si nous ne pouvons pas communiquer avec l’Univers en l’interpellant, nous pouvons « entendre » ce qu’il nous raconte.
Ainsi, lorsque nous parvenons à capter ses rayonnements et à les traduire en images, nous ne pouvons qu’être saisis par sa beauté. A cet instant précis il nous dit : « Ne suis-je pas extraordinaire ? ».

Nébuleuse de la tête de sorcière.
Portrait de fillette.
«Ne suis-je pas surprenant ?»
NGC1909 - La nébuleuse de la tête de sorcière.
«Ne suis-je pas jolie ?»
.

    Grâce à ses rayonnements l’Univers communique avec nous.
Peut-être nos sens, une fois éveillés, pourront-ils un jour nous permettre de ressentir sa présence et de l’entendre directement. Mais il nous faudra, auparavant, commencer par entendre ce que nous dit notre Terre, bien trop souvent mise à mal par notre aveuglement.

Portrait de chimpanzé.
Insectes.
«Ne suis-je pas humain ?»
«Ne sommes-nous pas vivants ?»
« En analysant les ondes provenant de l’Univers,
la physique permet de comprendre les informations qu’il nous envoie. »


« Les sons d’un langage peuvent être représentés par des ondes...
Pourrait-on généraliser en disant que
toute onde qui communique une information est un langage ? »



            4 – Les langages de programmation :
    Les premiers programmes que l’on peut qualifier d’informatiques remontent à 1936. Ils s’adressaient surtout à des machines à calculer, ou à des outils effectuant des tâches répétitives comme le métier à tisser Jacquard, premier système programmable par carte perforée.
Un peu plus tard, au cours des années 1940, sont apparus les premiers ordinateurs électriques de l'ère moderne.

    Puis, dans les années 1950, les trois premiers langages de programmation modernes ont été conçus pour :
- traduire des formules (le FORTRAN).
- traiter des listes (le LISP),
- programmer des applications de gestion (le COBOL),

A partir des années 1990, les langages se sont multipliés, demeurant cependant l’apanage de spécialistes, seuls capables de les concevoir et de les exploiter.

Elaborés à la manière d’une langue naturelle, ces langages mathématiques sont composés de règles de grammaire, d'un alphabet et d'un vocabulaire dont chaque mot possède un sens.

    Toutefois, si ces langages permettent, avec un code prédéfini, de mettre en œuvre une machine ou rechercher des informations dans une mémoire, leur caractère automatique ne leur permet pas encore d’assurer un échange d’idées.
    Actuellement, ces langages de programmation ont évolué pour permettre aux processus créés de devenir autonomes en apprenant et en échangeant des informations avec d’autres machines [cf : Les développements de l'intelligence artificielle :]. Il s’agit de robots dont les programmes sont connectés avec le monde extérieur par l’intermédiaire de capteurs variés (caméras 2D/3D, capteurs de vibrations, capteurs de proximité, accéléromètres...). Les données environnementales recueillies peuvent alors être exploitées en temps réel.
Le terme « intelligence artificielle » désigne donc une catégorie de systèmes qui permettent aux machines de reproduire les capacités des êtres vivants.
On notera que ce qui les rend « intelligents » n’est pas le « langage », mais les sens dont ils ont été dotés qui les ouvre sur un environnement en perpétuelle transformation.

Aujourd’hui, si les développements de l’intelligence artificielle permettent de simuler des « conversations » amusantes, ou de faciliter la manipulation, leur véritable intérêt est de donner accès à des informations que seule une machine ouverte sur le monde extérieur peut atteindre.

Intelligence artificielle.

« Le langage de programmation demeure limité à la commande d’une machine
capable de rechercher des informations. »


            5 – Le développement du langage chez les robots :
    Pourtant, le langage de programmation pourrait déboucher sur d’autres horizons.

    Comme nous avons pu le voir, de nombreuses disciplines scientifiques s’efforcent, de manière indirecte, de remonter à l’origine des langues en transposant au passé un ensemble de connaissances actuelles.
Mais il existe une autre approche qui consiste à observer des entités, créées de toutes pièces, inventer puis partager un vocabulaire et une syntaxe à partir du néant.
Cet exploit a été réalisé dans un laboratoire parisien, par des chercheurs en intelligence artificielle sous la direction de Luc Steels du Sony computer Science Laboratory (Sony CSL). Pour cela, ils ont observé le comportement... de robots jouant à la balle !
Ces travaux ont livré deux informations majeures : le temps nécessaire à l’émergence d’une langue est très court, et le hasard y joue un rôle primordial. De quoi remettre en question l’existence d’une « langue-mère » à l’origine de toutes les autres.

    Suivons le déroulement de l’expérience.
Deux Aïbos (les célèbres petits chiens robots créés par la firme Sony) se déplacent autour d’une balle orange posée sur le sol.
Soudain, tous deux s’immobilisent en émettant un signal sonore. Chacun a trouvé une position qui lui permet de voir à la fois la balle et son parten.

Robots chiens Aïbos..
Aïbo1 et 2.


    Un expérimentateur donne alors une impulsion à la balle qui se met à rouler. Les deux robots suivent attentivement son déplacement.
Lorsque la balle s’arrête, un premier Aïbo émet, via son émetteur audio, une suite de sons incompréhensibles qui correspondent au déplacement de la balle et pourraient être traduits par : « la balle est allée à gauche »… Quelques secondes plus tard, le deuxième Aïbo fait « oui » ou « non » de la tête.
Puis les deux Aîbos échangent leurs rôles, et l’expérimentateur relance la balle.
Grâce à ces échanges sonores répétés un grand nombre de fois, ces deux robots créent peu à peu une langue commune qui leur permet de décrire les mouvements de la balle.

    Ainsi, il a suffi de seulement 5000 lancers de balle pour que les deux robots parviennent à créer des phrases comme « pugiza titelu », ou « pugiza remibu voxuna » qui décrivent les mouvements de la balle et qui signifient par exemple : « la balle s’est dirigée vers ma gauche » « la balle roule vers toi ».

    Au début de l’expérience, commencée en 2004, les robots n’avaient ni mots ni règles grammaticales en mémoire : leur langage a été créé de toutes pièces !
Pour parvenir à un tel résultat, les chercheurs ont dû toutefois implémenter dans le disque dur de chaque Aîbo trois capacités cognitives présentes chez l’homme.

    - La première consiste à compartimenter la réalité visuelle perçue en créant toutes sortes de catégories pour la décrire.
Par exemple la localisation de la balle, sa direction, sa vitesse de déplacement, ou bien la distance parcourue.
Ensuite ils vont associer des sons (des « mots ») choisis aléatoirement à chacune de ces catégories.

Aïbo.
Aïbo1.


    - La 2e capacité consiste, face à une situation nouvelle, à créer aléatoirement des mots et des règles grammaticales alors qu’ils ne disposent d’aucun langage.

Aïbo.
Aïbo1.


    - La 3e capacité permet à chaque Aîbo d’accorder en permanence ses propres outils à ceux de l’autre.

Aïbos.
Aïbo1 et 2.


    Reprenons l’expérience à ses débuts.

Les deux Aïbos doivent, par exemple, créer des mots signifiant que « la balle a bougé vers la gauche » et les intégrer dans leur vocabulaire commun.

    Alors que les deux robots viennent de s’immobiliser, l’expérimentateur intervient pour déplacer la balle.
Cette dernière roule vers sa gauche. Dans la tête d’Aîbo1 censé s’exprimer en premier, cet événement a déjà été fragmenté (c’est sa capacité première) en une multitude de catégories : localisation, déplacement, vitesse, distance parcourue par la balle
Par contre, Aîbo1 ne peut décrire l’événement car il ne dispose pas encore de mots pour le désigner. Utilisant alors sa 2e capacité, il génère les mots « krisho telmuck » (qui peuvent être traduits par « bougé gauche »).
Quelle va être la réaction d’Aîbo2 ? N’ayant lui non plus aucun mot disponible, il tourne la tête de droite à gauche, signifiant qu’il n’a pas compris. Cependant, il a mémorisé le type de déplacement de la balle qu’il vient d’observer, et la vocalise utilisée par son partenaire.

    Imaginons maintenant qu’au terme d’un énième lancer, Aîbo2 observe un déplacement identique et doive le décrire. Comme il a en mémoire le premier lancer, il va pouvoir utiliser les mots inventés par Aîbo1, « krisho telmuck », utilisant alors sa 3e capacité, à savoir la possibilité d’accorder ses propres outils linguistiques avec ceux de son partenaire.
À ces mots, Aîbo1 fera alors « oui » de la tête : « krisho telmuck » fait désormais partie du lexique commun aux deux robots.

    La seule présence des trois capacités précédemment citées a suffi à faire émerger une langue commune. On notera au passage que les robots, libres d’inventer n’importe quelle vocalise, créeraient une toute autre langue si l’expérience était renouvelée.

    C - La source du langage verbal :

    Ces résultats peuvent-ils être extrapolés aux humains ?
C’est le cas, grâce aux travaux du linguiste américaine Judy Kegl qui a décrit l’apparition, dans les années 80, de la langue des signes nicaraguayenne.

    Cette langue est née dans des centres pour enfants sourds créés en 1979. Jusque là, ces enfants vivaient isolés les uns des autres et, en raison de leur handicap, aucune langue n’avait pu leur être enseignée.
Après leur regroupement, et l’échec de toutes les tentatives de leur enseigner divers moyens de communication, les enfants inventèrent spontanément une langue des signes totalement nouvelle qui leur permit en quelques mois de communiquer entre eux. Ils avaient réussi, avec leurs seules aptitudes cognitives, à créer une langue qui n’existait pas auparavant

    Bien que cette découverte, en corroborant les recherches menées par Steels, semble contredire l’existence d’une langue mère première, il n’en est rien.

Le langage oral est un langage des sons. Ces sons, chez toutes les espèces animales, décrivent des situations et des comportements avant que les mots ne viennent préciser la nature des objets. Ainsi la Mone de Campbell peut-elle décrire des situations grâce a sa syntaxe, mais le danger provenant du ciel ou du sol est déterminé par la vue avant de se transformer en vocalise.
De même, l’usage des sons étant impossible chez les enfants sourds, la langue du Nicaragua a tout naturellement exploité la vision pour aboutir à une communication par la gestuelle pour laquelle l’être humain est déjà préparé comme tout animal d’une autre espèce : observation, imitation et mémorisation y pourvoient.

Nul besoin de langage pour imiter ou apprendre,
voir suffit.

    Il en est de même pour les Aïbos. S’ils ne savent pas parler au départ, ils reconnaissent les images, dans ce cas les objets (balle) ou le partenaire, les déplacements, et la gestuelle (mouvements de la tête). En reconnaissant les formes, attitudes et déplacements, ils possèdent déjà une syntaxe visuelle qu’ils vont pouvoir traduire en sons.

« Pour Aïbo, comme pour le singe et l’enfant sourd,
la vision est à l’origine du langage. »












Du langage verbal à sa transcription en symboles. (suite)


Bibliographie :