« Le dessin est un langage, il permet d'exprimer l'indicible, l'inexplicable, l'unique,
et d'en dire l'intensité et toutes les nuances
à travers la composition dont les modalités peuvent être d'une variété quasi infinie.
S'il n'y a qu'un seul mot juste, il y a une multitude de façons d'exprimer ce mot par le dessin. »
Jacqueline Royer




A la source du langage,
La communication par l'image.







    Préambule :
    Ce travail est un essai qui propose une explication simple aux multiples œuvres artistiques laissées par les hommes de la préhistoire de par le monde.
En effet, la compréhension des innombrables graphismes que nous ont laissés les hommes de la préhistoire se heurte à deux difficultés : si les sites où l’on retrouve ces œuvres sont datés, cet âge est parfois remis en question par des méthodes de datation plus récentes. C’est ainsi que ceux qui ont pu être datés par la méthode Uranium-Thorium ont vu leur âge repoussé de 10 000 ans par rapport à la méthode au carbone 14.
    De plus, comment exploiter les multiples œuvres qui, dans un même lieu, se sont échelonnées sur de longues périodes et présentent des images et des styles bien différents selon l’époque et selon l’artiste qui les a produites ?
C’est pourquoi, pour comprendre ces œuvres, nous nous attacherons non au lieu qui les rassemble, mais à l’évolution de leur style.

    En raison de la complexité du sujet qui ne peut être traité que par des spécialistes, nous ne pourrons nous appuyer que sur peu d’exemples, avec de possibles erreurs.
Pour cela, cette étude ne doit pas être considérée comme un travail scientifique de référence, mais comme une proposition nécessitant confirmation par les préhistoriens et linguistes.

3 – L’évolution de la communication par le graphisme – de l’art rupestre aux symboles écrits :

    On peut supposer à juste titre que les peintures rupestres traduisent au départ une vision du monde conforme à la réalité, comme on le constate dans le développement artistique de l’enfant. Mais il se trouve que, peu à peu, cette représentation du monde s’est faite à l’aide de symboles peints ou gravés très différents de la réalité.

De l'image à son expression symbolique.

    Pourquoi et comment s’est réalisée cette transformation de la représentation de la seule réalité à une représentation symbolique ?

    Avant de pouvoir dater historiquement l’apparition des différentes écritures, les chercheurs estimaient que toute écriture provenait de l’ancien Sumer, en Mésopotamie. Cette théorie, considérait qu’à partir de cette origine, elle aurait évolué au fil des migrations, des besoins de communication des différentes populations et des besoins du commerce.

    Aujourd’hui, les chercheurs admettent que l’écriture s’est développée indépendamment dans quatre civilisations anciennes au moins: l
- la Mésopotamie, entre 3400 et 3100 ans av. J.-C.,
- l’Égypte, environ 3250 av. J.-C.,
- la Chine vers 1200 av. J.-C.
- et les zones de plaine du sud du Mexique et du Guatemala (vers 500 av. J.-C.).

    En ce qui concerne la Mésopotamie et l’Égypte, malgré la proximité des territoires et des dates d’apparition de l’écriture, les historiens admettent aujourd’hui que les différences de structure et de style des écritures mésopotamienne et égyptienne suggèrent qu’elles se sont développé indépendamment l’une de l’autre. L’influence réciproque demeure possible, mais limitée.

    En ce qui concerne la Chine, l’écriture ossécaille, utilisée du XV e au X e siècle av. J.-C. sur des os ou des écailles, apparaît comme une invention totalement indépendante.
    Pour suivre le cours possible de l’évolution de l’image vers l’écriture, nous ne tiendrons compte que de l’évolution progressive de l’image au sein même du graphisme, sans nous préoccuper de la datation ni du lieu où l’on a retrouvé cette image. En effet, l’évolution de ce graphisme dépend avant tout de l’artiste, de ses capacités créatrices, et de son milieu culturel.

L'apparition de l'écriture.

« Les représentations rupestres, un art ou une écriture ? »

    A - La transformation de la réalité – De la pensée à l’écriture :

        a – La pensée symbolique :

    Pour Francesco d’Errico, pensée symbolique et langage] sont inséparables pour assurer la transmission de ses pensées à des interlocuteurs multiples, y compris aux générations suivantes, ce que seul le langage peut faire. » La date de 40 000 ans a longtemps prévalu pour situer dans le temps l’émergence de cette forme de pensée.

    Pourtant, la pensée symbolique a émergé bien avant le langage, avec l’apparition de la vision. En effet, il a fallu que les cellules cérébrales réceptionnent et interprètent certaines ondes électromagnétiques (devenues alors « visibles »), pour transformer l’objet extérieur en image, puis nommer cette image par les sons et les cris. Une autre adaptation a permis au cerveau, grâce à l’acquisition de l’habileté manuelle, de représenter l’objet symbolique présent dans l’imagerie mentale sur un support extérieur (communication par le dessin).

Objet réel et activité cérébrale (pensée symbolique)

Activité cérébrale motrice et dessin.

    La pensée symbolique est donc cette activité cérébrale qui nous permet de nous représenter un être, un objet ou un fait en dehors de sa présence. Présente dans le cerveau grâce à la vision, on peut déjà se permettre d’attribuer cette capacité de codage de l’information à tous les êtres vivants qui sont capables de voir, alors même qu’ils sont incapables de reproduire l’objet ou la fréquence sonore perçue en image sur un support. En effet, tout être vivant part de ce qu’il voit pour le transformer en réaction motrice, par exemple la chasse ou la fuite.

Vision.

Action motrice .

    On peut donc objecter que si le langage permet de représenter la pensée symbolique et de la partager, cette dernière n’est pas directement à l’origine de l’éclosion du langage. D’autres facteurs sont en jeu comme la coopération au sein des espèces.

        b - La parole, un système instantané de communication :

    Succédant aux autres moyens de communication (gestuelle et expression des émotions), le langage articulé est devenu indispensable au partage de la pensée symbolique, laquelle s’appuie essentiellement sur la reconnaissance visuelle des comportements (approche rassurante ou menaçante par exemple).
Ce langage s’appuie essentiellement sur deux de nos sens, la vision et l’ouïe.
Sa fonction peut être comparée à la fonction de la mémoire vive d’un ordinateur qui permet de transmettre une information dont la durée de vie va être le plus souvent limitée à l’échange en cours.

    Le langage articulé, en tant qu’expression sonore, a pu d’abord informer d’un danger, puis transmettre les sentiments du locuteur. C’est ainsi que nous employons constamment des mots pour susciter en autrui un état d’âme semblable au nôtre, lui faire connaître nos perceptions, nos émotions, nos désirs ou nos ordres.
De plus, nous faisons passer ainsi, outre des informations pratiques, des connaissances et des idées qui, grâce à la mémorisation, vont se transmettre d’une génération à une autre et favoriser l’apprentissage. Loin de se figer, cette transmission orale des connaissances va pouvoir évoluer au fil des générations.

        c - L’écriture une mémoire qui résiste au temps :

    Après le développement d’une syntaxe qui a permis au langage d’évoquer le passé, le futur, ou encore des scènes imaginaires, il restait à fixer l’information afin de la transmettre vers des environnements lointains, temporels ou spatiaux. C’est l’écriture qui a permis de développer cette nouvelle capacité.

    Consistant en un codage du langage articulé, elle s’appuie essentiellement sur la vision et utilise, dans ses formes les plus évoluées, des symboles, signes ou lettres à même de représenter des mots et des phrases. Apparue il y a 5 à 6000 ans, elle s’exprime sous trois formes : les hiéroglyphes, les idéogrammes et l’alphabet.

Elle peut être comparée à la mémoire morte d’un ordinateur.

    De plus, résistant au temps, la force de l’information écrite est de conserver son intégrité au fil des générations. Toutefois, elle peut être amenée à figer un apprentissage qui aurait naturellement évolué grâce à des apports nouveaux.

Alors que le cri exprime l’intensité de l’émotion vécue, le langage articulé va peu à peu perdre cette capacité en devenant capable d’informer de l’émotion vécue. C’est ainsi que dans toute guerre il y a ceux qui vivent la guerre et les sentiments qui l’accompagnent, et ceux qui savent qu’il y a une guerre sans pour autant se sentir concernés.

Emotion.

Information.

    Jusqu’ici, le langage articulé avait permis à l’homme de poursuivre et améliorer son intégration dans le monde. Aujourd’hui, étrangement, ce langage si performant subit une altération. La pensée qui l’anime l’amène à l’inverse de ce pourquoi il s’était développé : fait pour informer de la réalité, il peut devenir aujourd’hui le moteur de la désinformation.

C’est cette réalité que les représentations graphiques des premiers hommes traduisaient.

« Pour communiquer sa perception de la réalité,
la pensée
a débuté par l’expression vocale
pour se prolonger dans l’expression graphique. »

    B – Par quels chemins le langage a-t-il évolué vers l’écriture ?

    La parole étant volatile, les communautés humaines, dont la croissance imposait les échanges commerciaux, ont alors cherché à conserver l’information.

    Si l’apparition de l’écriture est relativement récente, on ne peut cependant considérer qu’elle soit apparue brusquement. Par quoi a-t-elle été précédée ?
On constate alors que les images sont apparues des dizaines de millénaires avant l’écriture, et que toutes deux ont la même fonction : décrire l’environnement ou décrire des situations vécues.
Ainsi, bien avant l’écriture, les outils puis le graphisme nous ont montré leur capacité à conserver l’information, au point que nous pouvons aujourd’hui en suivre l’évolution tout au long des ères géologiques. Aussi est-ce grâce à leurs œuvres que les peuples qui nous ont précédés nous parlent encore.


    Voyons donc comment s’est fait le passage du langage à l’écriture au cours des millénaires.
Pour cela, nous allons utiliser le système d’apprentissage et de compréhension dont est doté notre cerveau : le raisonnement analogique.

        a – La réalité sans expression graphique :

    Que nous montre la « réalité », c’est-à-dire ce que nous percevons de notre environnement grâce au travail travail extraordinaire exécuté par notre cerveau ?


    Les scènes que nous observons paraissent simples. Elles dépendent pourtant de l’action coordonnée de milliards de neurones. Certains réceptionnent des ondes, d’autres les trient en fonction de la forme ou de la couleur, d’autres enfin les réassemblent en image à deux puis trois dimensions.
Cependant, cette image n’existe pas dans le cerveau. Seules des régions dans lesquelles s’activent des neurones peuvent être distinguées par électroencéphalogramme.

    Au cours des temps reculés qui nous intéressent, l’image se construisait tout comme aujourd’hui dans le cerveau de l’individu, qu’il soit animal ou humain, sous la forme d’une activité cérébrale : elle n’avait pas besoin d’être reproduite sur un support car elle suffisait à une adaptation immédiate aux conditions environnementales.
Aujourd’hui, les animaux n’ont pas besoin de dessiner ou écrire pour se souvenir des lieux propices, du chemin pour y parvenir, et pour partager une information. L’être humain, lui, a besoin d’images ou d’écriture, et il commence dès l’enfance alors que, tout comme l’animal, il sait seulement s’exprimer par des sons et des expressions corporelles.

        b - L’apparition du dessin :

    Les raisons qui ont poussé ces civilisations disparues à laisser une empreinte indélébile de leur passage ne seraient-elles pas les mêmes que celles qui poussent l’enfant à essayer de représenter ce qu’il voit ?
    Pourquoi l’enfant a-t-il besoin de tracer des traits sur une feuille, puis de dessiner ? En découvrir la raison permettrait peut-être de savoir pourquoi l’homme de la préhistoire a fait de même.
Le plus logique paraît alors de penser que ce dernier a simplement eu envie de dessiner le monde qui l’entourait. Les dessins d’enfants d’aujourd’hui sont remplis de reproductions des choses et êtres qui l’entourent : maisons, voitures, famille...

    Plus tard, affirmer sa personnalité en marquant son territoire le pousse à « taguer » toute surface visible.

    Comme c’est le cas aujourd’hui pour un adulte qui retrouve, sur un arbre, une gravure de l’époque de son adolescence, les hommes de la préhistoire ont pu aussi découvrir, alors qu’ils n’avaient pas encore de moyens d’information durable, qu’ils pouvaient utiliser la gravure pour transmettre les lieux de chasse ou de danger aux générations à venir.


    Nombreuses sont les raisons qui ont pu amener l’homme à graver sur la pierre : occuper un moment d’oisiveté, se souvenir d’un événement important, et, plus tard, communiquer avec ses semblables en marquant son territoire.
Mais il est plus probable que les toutes premières images n’aient jamais eu un but de communication. Comme on le constate chez les enfants, la curiosité et la découverte des couleurs et du monde environnant a pu simplement donner envie à l’homme de représenter ce qu’il voyait.
Il a même pu s’agir d’automatismes, tels que ceux qui poussent à dessiner sur le sable ou griffonner sur une feuille de papier tandis que nous téléphonons.


    C’est bien plus tard, lorsque les groupes ont pris de l’importance, que la communication est devenue nécessaire. L’image figée a alors suivi l’essor des besoins.
Elle s’est peu à peu enrichie d’images différentes pour traduire des situations et des pensées différentes, aboutissant à une représentation de plus en plus poussée du réel.

Cette richesse apparaît dans l’ensemble des images qui précédent l’avènement des écritures.

    Si l’on résume la situation, une chronologie générale de l’évolution de l’homme et de ses capacités créatrices a pu être inscrite dans la gravure ou le dessin au fil des centaines de milliers d’années, mais cette évolution générale masque l’évolution de la pensée créatrice, une pensée qui diffère entre chaque groupe humain selon ses activités (chasse, élevage...), ses migrations, son environnement, mais aussi entre chaque individu.

    C’est donc inspirés par l’évolution du dessin d’enfant que nous allons tenter de comprendre l’expression graphique des hommes qui nous ont précédés.

    Ce faisant, et à défaut de savoir pourquoi l’homme de la préhistoire gravait ou dessinait, nous pouvons essayer de comprendre comment son graphisme a évolué, et saisir le développement de sa pensée au cours des millénaires où il a peu à peu compris l’importance des images pour communiquer son savoir.
En suivant l’évolution de l’habileté de ses mains nous découvrirons alors la façon dont son esprit interprétait le monde, depuis le gribouillage jusqu’à la découverte de la perspective.

Ses premières réalisations sont très anciennes et constituent ce que l’on nomme aujourd’hui l’art rupestre et l’art pariétal.

    Il va de soi qu’une telle proposition ne saurait avoir pour ambition de remettre en question les recherches en cours sur le sujet, mais elle pourrait suggérer une interprétation simple aux créations de nos prédécesseurs, complétant ainsi l’éventail des théories scientifiques.

        c – Comment évoluent les dessins d’enfants ?

    Pour mener à bien cette étude comparative, nous nous appuierons sur les travaux de Georges-Henri Luquet (Le dessin enfantin, 1927), et Jacqueline Royer (Que nous disent les dessins d’enfants ? 2005) pour évaluer la progression dans les représentations de Neandertal et Sapiens.
Nous laisserons ensuite aux chercheurs le soin de confirmer ou infirmer la validité de ce travail.

            1 - Le dessin de l'enfant entre un et deux ans - la découverte :
    A partir d’un an, armé d’un crayon, l’enfant part à la découverte de ses instruments, il commence à gribouiller sur sa feuille. Quoi de plus magique que de voir des traits apparaître sur une feuille vierge. Cette découverte se complète par une découverte des couleurs.
Il ne sait pas encore tenir son crayon, mais il apprend à contrôler les mouvements de sa main tandis que ses tracés vont progressivement devenir intentionnels.
Cette étape va durer jusqu’à l’âge de 3 ans.

  (12 mois)

            2 - Entre deux et trois ans - le réalisme fortuit :
    Durant cette période, le trait part dans tous les sens.
L’enfant ne cherche pas à reproduire ou représenter quelque chose de réel. Il explore les résultats obtenus avec les supports et différents outils et dont il dispose.

    A partir de ces barbouillages, l’enfant va commencer à orienter son trait, réalisant des zig-zags, des lignes droites ou des arrondis. C’est à la suite de cette période d’expérimentation que le tracé de notre jeune chercheur va prendre l’apparence d’un objet. Parmi ces traits variés, une forme reconnaissable peut apparaître constituant le réalisme fortuit.

  Lignes brisées.

  Arrondis.

  Yeux.

    Progressivement, l’acte hasardeux va devenir intentionnel et représentatif. Le bonhomme têtard est esquissé.

            3 - Entre trois et quatre ans :
    C’est à cet âge que le « bonhomme têtard » apparaît vraiment.
L’enfant va commencer à représenter sa famille, indiquer quels en sont les membres et les distinguer en faisant varier la taille de ses personnages.

(3 - 4 ans) Le bonhomme têtard selon J. Royer.


    Vers trois ans il commence à contrôler ce qu’il fait et parvient à recopier des formes simples.
C’est au cours de cette période qu’apparaissent aussi les premiers « bonhommes bâtons ».


            4 - Entre quatre et cinq ans - le réalisme manqué :
    Vers quatre ans, le dessin devient narratif. On reconnait ce qu’il a voulu représenter et on devine une histoire.
Les visages deviennent expressifs.

    En plus des cercles, l’enfant commence à tracer des rectangles et des triangles.

(5-6 ans) Le bonhomme selon J. Royer.


    Il dessine en fonction de ce qu’il connaît. Le personnage va être plus détaillé, avec des cheveux, un visage. Les proportions ne sont pas encore respectées : ce qui est important sera dessiné plus gros.

    Tandis que son propre schéma corporel se précise, il complète le corps de ses personnages. De même ses paysages s’enrichissent de fleurs, de châteaux, de personnages de ses contes de fées, et le ciel s’habille de soleil, d’étoiles et de nuages.
Il peut ainsi représenter le monde qui l’entoure aussi bien qu’un monde imaginaire.


            5 - Entre 5 et 7 ans – le réalisme intellectuel :
    L’enfant dessine toutes les formes qu’il connaît, délaissant ce qu’il voit, et sa technique s’enrichit.
Le schéma corporel de ses personnages est complet, le visage expressif. Il ajoute des détails dans son décor.
On constate qu’il utilise le dessin comme un moyen de communication et peut se servir des couleurs pour traduire des émotions.

(6 ans) Le bonhomme selon J. Royer.


            6 - Entre 6 et 8 ans – le graphisme conventionnel :
    Représentation de personnages pantins.

            7 - Entre 7 et 9 ans – le réalisme visuel :
    La tranche d’âge des 7-9 ans connait un bond significatif dans la représentation réaliste des détails. L’enfant fait usage de la règle et de la gomme et habille ses personnages.
Il respecte les détails de décor et les expressions émotionnelles qu’il a expérimentées (bouches rieuses, sourcils en colère...).
Le ciel se peuple de nuages et d’oiseaux, le sol, d’arbres et de fleurs.



    Le dessin s’organise, influencé par la vie sociale, la nature s’inscrit avec des plaines et des montagnes. Les voitures sont sur les routes et les feux de signalisation ne sont pas oubliés. Les avions volent dans le ciel, et ce qui a été oublié vient compléter les vides.

(10 ans).

            8 - Entre 9 et 12 ans :
    Les proportions sont respectées avec l’ajout de perspectives simples.


    À cet âge, l’enfant parvient à exprimer des idées et des émotions complexes dans ses dessins.

            9 - Entre 12 et 13 ans - le stade critique :
    L’influence sociale commence à remplacer la spontanéité créatrice. L’enfant critique son œuvre, et peut être déçu par le résultat obtenu.

    Ainsi, en découvrant le monde, l’enfant tente de communiquer ce qu’il voit.
Après avoir partagé par la parole et les attitudes, il utilise le dessin pour se souvenir et communiquer.
Cependant, si le dessin donne une vision satisfaisante de la réalité, il exprime mal les sentiments, et il peine à exprimer la richesse de la pensée. C’est l’apport social qui va permettre à l’enfant de rendre son dessin plus expressif.
Ce sont ces mêmes apports extérieurs, et en particulier l’école, qui lui permettront plus tard d’acquérir l’écriture.

    Ainsi, c’est en développant notre connaissance de l’enfant, et la façon dont son graphisme se transforme avec l’évolution de sa personnalité, que nous pourrons mieux comprendre l’évolution de l’homme et de son écriture au fil du temps.
En attendant, nous allons simplement essayer de rapprocher un certain nombre de représentations rupestres ou pariétales avec les principales caractéristiques du dessin d’enfant.

« La manière dont le dessin d'enfant évolue
peut nous donner une indication sur l'évolution des représentations rupestres. »

        d – La réalité décrite par les pétroglyphes :

Paléolithique inférieur (environ de – 800000 à – 300000)
Paléolithique moyen (environ de – 300000 à – 40000),


Paléolithique supérieur (environ de – 40000 à – 9500), apparition de l'art figuratif.
Mésolithique : -9600 à -6000
Néolithique : -6000à -2300 : Poteries
Âge du Bronze : -2300 à -800
Âge du Fer : -800 à -50
Antiquité : -50 à +500
Moyen Âge : 500 à 1500
Époque moderne : 1500 à 1789
Époque contemporaine : 1789 à nos jours

    A quelle époque peut-on faire remonter la capacité des premiers hommes à fabriquer puis utiliser des outils qui permettront plus tard la naissance de l’art rupestre?

    Nous savons que les premiers outils sophistiqués, les bifaces, sont apparus il y a 1,7 millions d’années, au paléolithique inférieur qui marque le début de l’âge de la pierre. Ils marquent une étape importante dans l’évolution humaine, la capacité de modeler la roche pour la transformer en objet utile : l’outil à usages multiples vient de naître.
Une fois la capacité de donner forme à un objet acquise, l’homme était à même de reproduire sur un support des éléments de son environnement puis de communiquer son savoir grâce à l’image produite sur un support.

Biface.
Percuteur silex.
    Ces premiers outils nous donnent une indication de la période au cours de laquelle s’est structurée la pensée humaine. Après être devenu capable d’utiliser des outils, l’homme est parvenu à les fabriquer : ce faisant, il a démontré sa capacité à imaginer ce dont il allait avoir besoin.
Bien que ne faisant pas partie du langage, les bifaces préfigurent l’avancée de la pensée des premiers hommes et leur capacité à appréhender les formes pour modeler un objet.

    Ainsi, après avoir créé l’outil et révélé sa fonction créatrice, c’est grâce à l’outil que le cerveau humain va révéler, par l’intermédiaire de la main, sa capacité « artistique ».
Que va faire l’homme avec ses outils ? La même chose que fait aujourd’hui un enfant avec les crayons qui lui sont fournis.
S’il n’a pas de crayons, c’est sur le sol meuble ou le sable qu’il trouvera son inspiration.

            1 - L’art rupestre , semblable à un dessin d’enfant ?

    L'expression « art rupestre » (du latin rupes, « roche ») désigne l'ensemble des œuvres réalisées par l'Homme sur des rochers, le plus souvent à l’extérieur. On le distingue de l'art pariétal dont les œuvres sont réalisées sur les parois de grottes (en intérieur), mais aussi de l'art mobilier (que l'on peut déplacer). La réalisation de ces œuvres n'est pas le fruit d'une population déterminée, elle apparaît universelle.

    Cet art préhistorique est caractérisé par l'utilisation de plusieurs techniques :
- la gravure : les artistes martelaient un support rocheux avec une pierre dure (le percuteur), réalisant ce que l’on nomme pétroglyphe.
Les premières manifestations datent de la fin du Paléolithique moyen (environ de – 300000 à – 40000 ans),
- la peinture : les dessins étaient réalisés avec des poudres de couleur provenant de minéraux broyés. Avec un roseau ou un os creux, les poudres de couleur étaient soufflées après apposition des mains ou pour représenter des détails sur les dessins d’animaux.
Cet art figuratif se développe au début du Paléolithique supérieur (entre -45 000 à -30 000 ans)

    Les gravures sur roche sont les plus anciennes représentations mises à jour. On doit toutefois considérer que si l’usage des couleurs existait à une époque aussi lointaine, ces couleurs ont pu être effacées au cours du temps.
Ce que l’on retiendra, c’est que les pétroglyphes constituent la mémoire la plus durable, et qu’en s’intéressant à une chronologie des images en fonction de leur maturité artistique, il est possible d’évaluer l’évolution de chaque groupe culturel, ainsi que ses migrations.

    Alors que la fabrication des bifaces peut être datée et leur utilité comprise, la naissance de l’art rupestre demeure plus obscure.
Dans la grotte de Daraki-Chattan, située dans le centre de l’Inde, l’activité des premiers hommes a été retrouvée dans les couches géologiques. Dans la première phase du Paléolithique inférieur, cette grotte a non seulement servi d’atelier de taille d’outils, mais elle recèle également le plus riche site à cupules connu au monde. Ces cupules ainsi que des percuteurs en pierre provenant des différents niveaux fouillés sont considérés comme la preuve de l’existence de l’art dès le Paléolithique inférieur. Pourtant, ils conservent toujours leurs secrets.
Tous les indices obtenus de nos jours montrent que le développement de la cognition humaine et de ses productions artistiques avait été sous-estimé.

cupules Daraki-Chattan
Cupules sur une paroi verticale en quartzite dans la grotte de Daraki-Chattan, Inde,
( Paléolithique inférieur)

    Cet art rupestre est estimé dater de plus de 290 000 ans avant notre ère.
Des réalisations semblables ont été mises au jour à la grotte d’Auditorium, à Bhimbetka, toujours en Inde.

Pétroglyphes de Bhimbetka (290 000 ans (peut-être -700 000 ans) avant notre ère.

    Plus près de nous, un bloc d’ocre âgé de 75 000 ans retrouvé à Blombos, en Afrique du sud, présente des motifs géométriques gravés en forme de croisillons. Considérés eux aussi comme des représentations artistiques, ils pourraient néanmoins avoir la même signification que les traits tracés au crayon par un enfant de moins de deux ans.

Quadrillage gravé sur un bloc d’ocre à Blombos - Afrique du Sud (-70 000 ans).

    Ayant compris la façon dont le dessin de l’enfant a évolué au cours de son apprentissage à la vie, comment allons-nous interpréter l’évolution du graphisme chez les espèces pré-humaines ?

    Pour cela, nous allons oublier une chronologie liée à la datation des sites, et n’étudierons que l’évolution du graphisme seul. Ce dernier va alors prendre tout son sens en représentant la maturité artistique d’un groupe humain à une époque et en un lieu donné.

    Il ne s’agit pas ici d’une évaluation de l’âge mental de l’artiste, mais de l’évaluation de son graphisme par comparaison avec l’évolution du graphisme de l’enfant.
En effet, dans le cas qui nous intéresse, les hommes de la préhistoire étaient des adultes aux capacités de survie en milieu naturel bien supérieures à nos propres capacités d’homme moderne.

    Si l’on ne peut tirer pour l’instant de conclusions sur la raison d’être des cupules dont l’origine est trop ancienne, on peut toutefois établir un parallèle entre certains pétroglyphes et les premières ébauches des dessins d’enfants. C’est donc à partir de ces graphismes que nous allons tenter de comprendre l’histoire de l’écriture et, peut-être, déterminer son origine..

    C’est ainsi que des graphismes tracés au doigt sur de la roche tendre pourraient constituer un point de départ. On les trouve dans la grotte française de la Roche-Cotard, et ils viennent d’être datés de plus de 57 000 ans. Neandertal en a été le dernier occupant.

Graphismes tracés au doigt sur une roche tendre.

    Nous retrouvons ici des tracés similaires réalisés sur le sable par un enfant et qui pourraient l’être par toute personne oisive sur une plage.


    De plus, comme c’est le cas pour l’enfant de 1 à 3 ans qui barbouille sa feuille, Neandertal a pu « barbouiller » la paroi de sa grotte.

(Enfant de 1 à 3 ans)

    D’autres gravures aux traits rectilignes ont, elles-aussi, pu être attribuées à Néandertal.
Dans la grotte de Gorham, située à l’est de Gibraltar, figure une gravure qui était recouverte de sédiments contenant des outils moustériens estimés à – 39 000 ans, à une époque où Neandertal était seul sur la péninsule hispanique.
Le tracé rectiligne pourrait suggérer un tracé de la main affirmé, mais, sur une roche dure, il est plus facile de tracer des lignes droites ou de suivre des lignes de failles préexistantes. La percussion est plus adaptée aux courbes comme nous le verrons plus loin avec des représentations plus élaborées.

(Enfant de 1 à 3 ans)
Gravures de Néandertaliens dans la grotte de Gorham,
Tracés rectilignes nécessitant un outil.

    L’enfant s’exprime de manière identique, mais il a besoin d’un support malléable.



    Des tracés plus fouillés datés du mésolithique (-9600 à -6000) dans les massifs gréseux du Bassin parisien sont eux-aussi considérés comme un « art schématique », mais le foisonnement des tracés ne permet pas de déterminer des unités et leur relation, contrairement à l’art réaliste dont le style et le contenu sont caractérisés.

(Enfant de 1 à 3 ans)
Graphisme affirmé demeurant toutefois partiellement aléatoire.
Pétroglyphes mésolithiques des massifs gréseux du Bassin parisien.

    Cela peut toutefois nous rappeler les tracés d’enfants entre deux et trois ans où, à partir des barbouillages, l’enfant va commencer à orienter son trait, réalisant des zig-zags, des lignes droites ou des arrondis.
C’est ce que l’on retrouve dans l’abri de la roche aux sabots à Noisy-sur-Ecole (France) où les tracés s’organisent.

(Enfant de 2 à 3 ans)

« Si l’on compare le dessin à l’écriture,
les traits sont l’équivalent de lettres qui ne s’assemblent pas encore pour former des mots. »


    Ailleurs, la gravure filiforme dénote un contrôle assuré et intentionnel.

(Enfant de 3 ans)
Peuple préhistorique Camuni, âge du fer – 1er millénaire av. J.-C

    Dans le gisement tardenoisien du bois de Chinchy, une petite plaquette de schiste présente, sur une face, des traits, et sur l’autre, des tracés aléatoires qui ont pu être interprétés comme une silhouette féminine, silhouette qui pourrait tout aussi bien constituer une paréidolie.

Réalisme fortuit. (Enfant de 3 ans)

    Chez l’enfant, Luquet nomme ce rapprochement entre un tracé hasardeux et l’apparence d’un objet, le stade du « réalisme fortuit ».
    Ainsi, dans la géode II du Bulou, il a été distingué un homme sans tête (a) et une femme (b) dans le quadrillage, mais l’ensemble pourrait tout aussi bien représenter un poisson.

« Parfois, des traits s’assemblent, semblant créer des images,
tout comme des lettres peuvent s’assembler fortuitement
pour créer des mots. »

    Au milieu de tous ces tracés, des formes nouvelles surgissent comme dans la Niche des Cabanes », en Essonne (France).
Les lignes droites se courbent et s'allient à des parallèles pour évoquer un animal.

Réalisme manqué (Enfant de 4-5 ans)
Quadrillages mésolithiques et gravures récentes : étoile et animal ébauché.

« Des images encore imprécises surgissent,
comme, plus tard, le feront les mots écrits. »


    Le dessin s’affine, et si certaines formes demeurent de nature obscure et sont qualifiées de symboliques, d’autres évoquent des animaux, comme ici un cervidé.
Nous sommes au stade de l’enfant de 4-5 ans : l’acte intentionnel devient représentatif.


(Enfant de 4-5 ans)
Cervidé dans la grotte de Noisy sur Ecole (abri de la Ségognole-Seine-et-Marne, France)

« Lorsque les traits s’assemblent pour représenter un être connu,
le mot s'impose immédiatement à l’esprit : " cervidé ".
Un jour, ce mot dessiné s’écrira avec des idéogrammes puis des lettres. »


    Toutefois, les représentations d’animaux dans les grottes ornées du massif de Fontainebleau demeurent rares.

    Ailleurs, les cercles sont apparus et ils se remplissent de détails, épousant les formes du bonhomme têtard.

Bonhomme têtard (3 ans)
Pétroglyphe d’indiens Taïnos dans une grotte du parc national Los Haïtises (République dominicaine)
Culture disparue à l’arrivée de Christophe Colomb, en 1492.

Bonhomme bâton et triangles (4-5 ans).
Représentation de ce qui pourrait être un shaman tenant un sistre (Forêt de Fontainebleau).
Bien que la dureté de la roche impose les tracés rectilignes ou impose d’en suivre les lignes naturelles,
la présence de ce personnage dénote l’aspect narratif du glyphe.

    On peut rapprocher cette image de figures similaires réalisées à une autre époque et en un autre lieu.

Bonhomme bâton (Enfant de 3-4 ans)
Pétroglyphes du désert de Gobi (-15,000 ans).

    Oublions ici les extra terrestres de Roswell : nous avons seulement un personnage pantin bien proportionné.

(Enfant de 6-8 ans).
Art rupestre de l'ancien Pérou (-6000 à -2000 ans)

    C’est ainsi que, selon les régions, et à des époques très différentes, on retrouve des tracés similaires.
Ci-dessous, tout en conservant un tracé filiforme, le dessin représentatif commence à s’enrichir de bandes verticales par martelage de la roche.
L'animal a un petit dont la robe affiche le même signe distinctif.

Acte intentionnel et représentatif (4-5 ans). On reconnaît le dessin.
Gravures rupestres d'Ouzbékistan datées du Mésolithique (-9600) à la fin du Moyen Âge (+1500)

    Soudain, la scène ne représente plus seulement un être vivant, mais elle évoque une scène de la vie quotidienne. L’artiste nous apprend qu’il a domestiqué l’animal.

Dessin représentatif (4-5 ans).
Parc national de gobustan – Azerbaïdjan (-10 000 ans)

« Sous forme de dessin, des mots (cheval, cavalier) commencent à s’assembler,
esquissant une grammaire. »

    De plus, cet artiste nous apprend qu'il possède des outils élaborés pour rendre sa chasse plus efficace. L’expression de son langage graphique devient de plus en plus explicite. Des millénaires plus tard, nous demeurons capables d’en saisir le sens général et de mettre des mots pour désigner ses représentations, même si nous n’accédons pas encore à l’histoire propre à l’artiste.

La chasse. Dessin narratif (4-5 ans)
Pétroglyphes dans le désert de Gobi

    De simplement représentatif, le dessin est devenu narratif.
Désormais, l’homme n’est plus seul, il fait partie d’une tribu et, tenant un enfant par la main, il possède une famille – La conscience collective s’exprime désormais dans le graphisme. L’émotion pourrait bien commencer à s’exprimer dans l’œuvre, avec la mise en avant du lien qui unit les êtres.

Dessin narratif (6-8 ans)
Sculpture sur pierre dans le parc national du Gobustan. Azerbaïdjan (-10 000 ans)

    Le dessin narratif prend de l’ampleur. Tel la photographie d’un moment de vie, on y découvre une scène de chasse ou, peut-être, des bergers et leur troupeau.

(Enfant de 8-12 ans)
The great hunt. Pétroglyphes dans le Nine Mile Canyon – Utah (+1000)

    L’image ne se résume plus à désigner un personnage par un dessin ou un son articulé, équivalents de l’un de nos mots. Une histoire émerge de cette image, celle d’un troupeau, de son berger et de gardiens armés ou de voleurs potentiels. Cette histoire peut être racontée par chacun des participants selon sa place dans l’événement, et chaque narration va renfermer sa part d’émotion, le plaisir de la vie partagée, ou la peur ressentie lors d’une attaque.
Comme toute aventure narrée lors d’une veillée familiale, l’histoire appartient à celui qui s’exprime que ce soit par le langage articulé ou le dessin.


«Le dessin narratif est l’histoire que l’on raconte à ceux qui l’ont vécue,
ou qui peuvent la comprendre.»


    Revisitons maintenant toutes ces gravures sous le regard de l’enfant que nous avons été.

            2 - Le lien avec le langage de l’enfant :

    Si nous récapitulons l’évolution du graphisme, nous venons de voir que la dureté de la roche a d’abord imposé des traits simples se limitant aux contours puis au remplissage du personnage central.
Puis, les images simples qui possédaient chacune la même signification que l’un de nos mots (soleil, animal, homme, tribu...) se sont peu à peu assemblées pour décrire un événement.
Cet événement pourrait se réduire à quelques « mots » : « le berger et son troupeau protégés par des gardiens armés » ; mais il peut aussi avoir la valeur d’une longue histoire qui s’appuie sur ce qui est la photographie d’un événement fixé sur la pierre. Ici, le langage n’est pas construit à partir de signes juxtaposés comme nos langages écrits, mais comme un événement global que chacun peut « lire » à sa manière selon qu’il est l’observateur de la scène, ou l’un des personnages présents (berger, sorcier, voleur ou gardien armé) qui raconte son vécu lors de cet événement.

    Souvenons-nous du langage des Aïbos.
Nous avons vu que l’image réelle précéde le langage, le mot venant secondairement désigner l’image. Tout comme les animaux utilisent des sons pour décrire leur environnement ou exprimer ce qu’ils ressentent, il est probable que les hommes de la préhistoire avaient eux aussi des sons ou des mots (tout comme y sont parvenus les Aïbos) pour désigner chaque élément de leur environnement et, plus tard, chaque objet dessiné : cheval, bison, lion, homme, arc, chevreuil…

    L’image montre l’objet ou la scène de la même manière que le mot nous permet d’imaginer l’objet, et le langage de visualiser la scène.

L'image :
L'image :
Le mot : « tambour. »
Le langage : « Les hommes dansent au son du tambour. »


« Le mot décrit de manière transitoire ce que l’on voit, l’image entretient le souvenir.
Précédent les mots écrits,
les dessins ont été les premiers symboles représentatifs du monde vivant et des situations vécues. »


    Nous venons ainsi d’aborder un élément nouveau, celui du lien entre l’image et le mot, et c’est une fois encore le développement du langage de l’enfant qui va nous indiquer comment les images ont peu à peu illustré les mots employés par les hommes pour évoquer le monde où ils vivaient.

    Récapitulons le développement du langage du tout petit.
Nous savons que dès la grossesse, le fœtus prend contact avec le langage. En effet, il peut entendre dès le sixième mois de grossesse. Même s’il ne peut comprendre le sens des sons et des mots qui lui parviennent, il ressent ce qu’expriment les intonations…
C’est pourquoi, dès la naissance, le bébé confirme cet apprentissage par sa sensibilité à la prosodie, c’est-à-dire à l’intonation, à l’accentuation ou encore au rythme de la langue. Cependant, dans un premier temps, il ne peut s’exprimer que par des sons pour partager ce qu’il ressent.

    Puis il gazouille et on ne le comprend pas toujours. Ce n’est qu’à partir de trois mois, qu’il commence à prononcer des syllabes aléatoires qu’il maîtrisera à cinq mois.

    Il faudra encore attendre huit à douze mois pour l’entendre prononcer son premier mot. Ce sera bien souvent "maman" ou "papa", le mot qu’il aura entendu le plus fréquemment.
A partir d’un an, le tout-petit va prononcer des mots désignant des éléments de son environnement. A 18 mois, il en comprendra entre 65 et 110.
C’est alors que commencent les associations de 2 mots ayant un sens, par exemple il demandera "où Papa ?",
L’enfant devient très bavard, aimant montrer l’étendue de son vocabulaire.

    Au cours de sa deuxième année, il va décupler le nombre de mots acquis au cours de la première.
C’est vers 3 ans, que l'enfant parle vraiment, avec des phrases construites et la reprise d'expressions qu'il entend. Il a acquis le langage.

    Comment comprendre alors l’évolution du graphisme à la lumière du développement du langage de l’enfant ?

(Le dessin de l’homme de la préhistoire demeure incompréhensible).
    De même, à 3 mois, l’enfant entraîne son organe de la parole, il remplit son environnement de son gazouillis que personne ne comprend.

(Un graphisme incertain s’élabore, des formes construites apparaissent, et la première représentation compréhensible naît).
    A 1 an, le langage de l’enfant se structure et il prononce son premier mot.

(D’autres images compréhensibles apparaissent : « bouquetin », « chasseur ».
Toutefois le sens de l’image demeure incertain : bouquetin chassé ? ou bouquetin protégé d’un prédateur en approche ?).
    A 18 mois, l’enfant associe deux mots donnant plus de sens à son langage.

(Le dessin de l’homme de la préhistoire lui permet de développer l’histoire qu’il raconte).
    A 3 ans, l’enfant nous raconte maintenant de vraies histoires.

(Telle une photographie, le graphisme décrit un événement,
mais cet événement ne peut être vraiment compris que par celui qui l’a vécu).
    A 4-5 ans, le langage de l’enfant lui permet de raconter une histoire complexe, même si l’agencement des « mots » demeure encore brouillé.
Les parents de l'enfant le comprendront mieux que des étrangers à la famille.

            3 - La possible apparition du comptage :

    Si l’image a permis de traduire la pensée, elle a également participé au développement du calcul. En effet, comment calculer si l’on ne possède pas le moyen de faire référence à quelque chose de concret ? Les symboles graphiques ont fourni la référence fixe indispensable.

    Nous avons précédemment évoqué l’existence de signes indéchiffrables car semblant n’accompagner aucun objet reconnaissable, les cupules.
Quelques éléments de ce type ont toutefois été retrouvés dans l’abri du poisson qui se situe dans le vallon de Gorge d’Enfer, surplombant la rive droite de la Vézère (France).
En 1892, on y a découvert, sculpté au plafond de la voûte, un saumon "becquart" à la mâchoire retroussée, caractéristique du mâle. Daté de -25 000 ans, il serait l’une des premières représentations de poisson connue au monde.

    On y remarque 5 points derrière l’ouïe, pouvant évoquer des cupules, et 7 barres verticales au dessus du corps qui peuvent être assimilées à un système de dénombrement.
    On retrouve ce type d’encoches sur les bâtons de comptage, système mnémonique destiné à enregistrer un nombre grâce à des entailles gravées sur un bâton en bois ou en os.
L'origine de cette technique remonte au paléolithique supérieur, et plusieurs exemples nous en sont parvenus :


    - L’os de Lebombo, un péroné de babouin, daté d’il y a plus de 40 000 ans AP, est le plus ancien témoin de l’activité de comptage de l’être humain.


Os de Lebombo.

    - L’os de Vestonice, daté d’il y a 30 000 ans a été découvert en 1937 en République Tchèque. Il s’agit d’un os de loup comportant 57 entailles.


Os de Vestonice.

    - Parmi les plus célèbres bâtons de comptage, on peut citer les os d’Ishango, découverts dans les années 50 au bord du lac Édouard au Congo. Ils présentent des séries d’encoches disposées par groupes distincts qui ont été l’objet de nombreuses interprétations.


Os d'Ishango - Museum des sciences naturelles de Belgique (-20.000 ans).

    Des bâtons de ce type ont été utilisés jusqu'à la fin du XIXe siècle (19ème siècle) pour enregistrer diverses transactions.

        e - La réalité décrite par les peintures pariétales :

Paléolithique inférieur (environ de – 800000 à – 300000)
Paléolithique moyen (environ de – 300000 à – 40000),

Paléolithique supérieur (environ de – 40000 à – 9500), apparition de l'art figuratif.
Mésolithique : -9600 à -6000


Néolithique : -6000à -2300 : Poteries
Âge du Bronze : -2300 à -800
Âge du Fer : -800 à -50
Antiquité : -50 à +500
Moyen Âge : 500 à 1500
Époque moderne : 1500 à 1789
Époque contemporaine : 1789 à nos jours

            1 - La transition entre Neandertal et sapiens :
    Le développement de l’art pariétal marque une nouvelle étape d développement des moyens d’expression.
L’homme exploite les particularités de son environnement et utilise les colorants qui y sont présents.
C’est avec Neandertal que semble débuter cette nouvelle expression artistique qu’il pourrait bien avoir transmis à Homo Sapiens avant de disparaître aux environs de – 30 000 ans AP (avant le présent).

    En effet, des peintures rupestres datant de 65 000 ans et des perles récemment découvertes seraient les premières œuvres d'art de l'époque de Neandertal. Aujourd’hui, alors que seul Neandertal occupait la région, une douzaine de peintures murales dont il était le créateur ont été trouvées dans trois grottes situées en Espagne,

    L'Homme de Néandertal a en effet été identifié en Espagne (à la Sima de los Huesos, à Atapuerca), par des fossiles datés de 430 000 ans, les plus anciens connus à ce jour.

    De son côté, Sapiens n’arrivera sur les lieux que vers 45 000 ans avant le présent. En provenance du Proche-Orient à la faveur d'une amélioration relative du climat, il va se disperser dans toute l'Europe et cohabiter pendant plusieurs milliers d'années avec l'Homme de Néandertal, jusqu'à l'extinction de ce dernier.

Red scalariform sign.

    C’est ainsi que dans la grotte de La Pasiega, près de Bilbao, autour d’une figure en forme d’échelle, on trouve, des points, des figures non identifiées et des représentations d’animaux. Une étude réalisée par la méthode Uranium-Thorium a permis d’estimer l’âge des peintures à 64 800 ans au minimum.

Agrandissement de la représentation en forme d’échelle
(photo actuelle Hoffmann à gauche, relevé effectué par l’abbé Breuil en 1913 à droite).

Figure claviforme (grotte de La pasiega).

Inscription symbolique, et son relevé à ganche (La pasiega).


    Dans la grotte de Maltravesio, la calcite déposée sur des mains négatives a pu être datée avec la méthode Uranium-Thorium. L’âge minimum de réalisation de ces mains est estimé à 66 700 ans.

    Si ces résultats sont confirmés, on pourrait envisager que Neandertal ait été l’inspirateur de l’art pariétal en Europe.
Cependant, Christopher STRINGER (Natural History Museum) souligne que les plus anciennes traces de figures géométriques (quadrillages sur bloc d’ocre) ont été réalisées par Homo Sapiens, en Afrique du Sud, il y a 100 000 ans.
L’expression artistique serait donc apparue simultanément et en des lieux très éloignés chez différentes espèces humaines.

    Aussi, si l’on considère que les inscriptions de la Pasiega sont des signes significatifs d’un langage à l’instar des représentations d’animaux, on constate que le développement symbolique de Neandertal était très proche de celui de Sapiens. Tout indique, chez Neandertal, une capacité à communiquer par le langage. Il ne lui restait plus qu’à développer le vocabulaire, la grammaire et la précision du dessin, ce que sa disparition précoce n’a pas permis.

    Le passage progressif des œuvres de Neandertal à celles d’homo sapiens se retrouve dans d’autres grottes, toujours en Espagne. Ainsi, à El castillo, dont la période d’occupation s’étend entre -120 000 ans et l’âge de bronze (-1000 ans), une tache rouge a été datée à -40.800 ans et une main négative à -37.300 ans,

    Il est difficile de donner un sens à certains graphismes, comme les motifs claviformes de la grotte d’Altamira. Qualifiés pour cette raison de symboliques, ils peuvent solliciter notre imagination et nous permettre d’y voir un oiseau ou, en basculant l’image, une hutte bâtie sur un arbre. A moins qu’ils ne soient déjà l’expression d’une langue écrite.
(Elaboration de formes simples : 3 - 4 ans)
Figure claviforme datée à 35.600 ans AP ( grotte d'Altamira).

    Nous pourrions ici rapprocher cette image du réalisme fortuit évoqué par G.H.Luquet (entre le tracé hasardeux et l’apparence d’un objet), vers 3 ans.

    S’il est difficile de donner un sens global à la diversité d’images qui se succèdent dans le temps, nous pouvons tenter de saisir le degré de maturité psychologique de l’artiste à travers l’expression de son dessin, lorsque celui-ci, devenu représentatif, peut nous être accessible.

Expression de l’identité (14 à 18 mois).
Grotte d'El Castillo (-37 000 ans)

    En apposant sa propre main sur la paroi, l’artiste abandonne pour un instant son regard sur le monde pour affirmer sa propre existence. La représentation par l’artiste de « sa » main pourrait avoir ici le même sens que celui que nous accordons à une signature.

Apparition du dessin représentatif.

    Dans la grotte d’El Castillo, sur le panneau des mains se côtoient des tâches rouges du paléolithique supérieur (-40 000) et un bison magdalénien (-17 000). Sur ce panneau apparaît l’évolution des peuples qui se sont succédés au cours des millénaires.
Les artistes qui ont orné cette grotte marquent le passage de l’image au sens indéterminé à un dessin représentatif qui établit un lien visuel solide avec la réalité (4-5 ans).

    Après ce qui paraît représenter le passage artistique d’une civilisation humaine à une autre, voyons comment nous pourrions interpréter les réalisations d’homo Sapiens.

            2 - Individualité, collectivité et vie quotidienne dans l’art pariétal :

    L’évolution des formes au fil du temps atteste du perfectionnement de la capacité des artistes à reproduire le monde environnant : l’habileté manuelle acquise dans le domaine de la fabrication d’outils s’est orientée vers le dessin sur une surface plane.
Cette habileté transparaît d’autant plus que l’usage des couleurs autorise une représentation de plus en plus proche de la réalité. Toutefois, comme l’œuvre dépend de l’artiste, nous continuerons à nous attacher à une chronologie basée sur la maturité artistique de l’individu, indépendamment de la date de création de ces œuvres.
Nous continuerons toutefois à mentionner l’époque et le lieu de leur réalisation pour rattacher l’œuvre à un moment de la préhistoire.

326
Alignement de points à El Castillo.

    - Oublié le dur labeur pour creuser des cupules, désormais les couleurs prennent le relais avec un avantage crucial pour les images à venir et l’écriture : la rapidité d’exécution.

Dessin représentatif (4-5 ans).
Grotte de Marsoulas, Haute-Garonne, Pyrénées.

    - Oubliés également les points comme image indéfinie ou système de comptage. Ils interviennent ici pour remplir et améliorer un dessin préalablement tracé au trait. Sur cette image, 3 générations d’artistes semblent s’être succédé. L’une esquissant avec un tracé sûr les contours d’un bison (gravure par un artiste confirmé), la deuxième complétant par l’ombrage de la tête et du poitrail et ajoutant l’œil et l’oreille (peinture par un artiste confirmé), la dernière se contentant de recouvrir l’ensemble de taches rouges (enfant de 5 à 7 ans).

    Revenons au panneau des mains....
A El castillo sur ce panneau, les styles se côtoient, et l’on passe des images symboliques (sur la gauche du panneau) à un tracé malhabile, puis à une possible affirmation de l’identité.

Croquis des peintures du panneau des mains.

    Ces empreinte de main dénotent l’utilisation d’outils, en l’occurrence un objet creux (os ou bambou) pour projeter le colorant sur la paroi après interposition de la main ou un crayon d’ocre. Réaliser ces empreintes ne nécessite pas une maîtrise fine des mouvements de la main, l'expression artistique demeure donc limitée.
De plus, ces empreintes pourraient indiquer la latéralisation des artistes, la main droite étant le plus souvent utilisée.

(Affirmation de l’identité)
Main dans la Grotte Chauvet - 36 000 ans
    La main, isolée sur la paroi, pourra représenter pour le grapheur l’affirmation de son identité et l’occupation d’un espace qui lui est dédié et qu’aucun autre ne saurait recouvrir. L’identité exprimée ici demeure indépendante de la communauté.

Empreintes de main à la Cueva de las Manos en Argentine (entre 13000 et 7000 ans)
Conscience des soi 21 et des autres (18 mois)
    Au contraire, un ensemble de mains pourrait indiquer une forte appartenance à la communauté (14 à 18 mois).
Tous partagent un territoire, et chacun y exprime sa propre personnalité.
Le tracé des mains traduit cette identité commune ou chacun appose sa propre empreinte, avec sa propre coloration et son propre mouvement tout en respectant la direction commune, L’idée directrice de l’un inspire tous les autres et le plaisir se partage, plaisir de vivre et de créer ensemble.
Sur ce panneau, une hiérarchie semble s’établir : dans la partie inférieure se situeraient les membres de la tribu et, au-dessus, les chefs qui se raréfient tandis que leur position s’élève.

    On retrouve dans l’art pariétal les mêmes stades de développement artistique que celui qu’expriment les dessins de l’enfant et que nous avons pu découvrir dans les gravures.

Pedra Furada – Brésil (- 11 000 ans AP)
    Revoilà le bonhomme tétard (4 ans). Un remplissage par points rappelle le martelage des gravures.

Cueva de las Manos (Argentine). Mains négatives et troupeau (-13 000 à -7 000)
    A la cueva de las manos, le réalisme enfantin (4-5-ans), s’enrichit de l’intervention d’autres artistes, chacun exprimant sa propre maîtrise graphique, tout en partageant ses découvertes dans le monde où il vit.


Panneau des lionnes. Grottes de Chauvet (France) 37 000 à 28 000 ans AP.
Multiplicité des détails et transparence, mais la perspective n’apparaît pas encore (5 à 9 ans)
    Le dessinateur ne se met pas en scène. Il narre la vie du monde animal, ici ce pourrait être la chasse menée par une famille de lionnes.
On remarquera que la réalité est respectée : seules les lionnes participent à la chasse. Toutefois, la superposition de dessins de qualité différente suggère l’intervention de plusieurs artistes qui s'inspirent des profils précédents. Les artistes maîtrisent plus difficilement les animaux entiers.


Rhinocéros dans la grotte de Chauvet.
    Sur ce panneau, comme sur le précédent, différentes œuvres se superposent marquant différents stades de maturité artistique. Chaque artiste impose son propre dessin, imitant ou ignorant les œuvres abouties ou non de ses prédécesseurs. L’un d’eux s'impose après avoir effacé les réalisations sous-jacentes, soulignant ainsi le tracé de son rhinocéros.

Altamira.
    Dans la grotte d'Altamira, datant d'environ 20 000 ans, les bisons sont représentés en couleurs vives, mais ils demeurent statiques. Chaque artiste révèle son talent dans une œuvre qui se veut collective, et chaque image s’insère dans un espace qui respecte l’espace de l’autre. Toutefois, ces images ne s’intègrent pas dans un mouvement collectif : le dessin décrit l’animal dans ses attitudes, mais ignore le mouvement.


Grotte de Lascaux (entre 21 000 et 21 500 ans) Dessin descriptif .
    Le dessin s’affine et plusieurs styles s’expriment : transparence, remplissage par points ou couleur. L’usage de couleurs variées donne du relief au corps du cheval. L’orientation est commune : chaque dessinateur prend place au sein des œuvres précédentes avec son propre style, donnant vie à un troupeau.
On découvre des réalisations d’artistes très différents, certaines timides et occupant peu d’espace, en partie recouvertes par des dessins qui s’affirment par leur force et la précision de leur trait. L'homme observe un monde animal qui n'a pas été domestiqué.

    Bien qu’apparemment plus anciennes, d’autres peintures évoquent une vie collective plus organisée, où chaque personnage est à sa place dans un monde terrien, affirmant son sexe, sa fonction et son environnement.
Avec la domestication, l’animal a perdu sa spontanéité.
Il s’agit d’un dessin réaliste où hommes et animaux se côtoient.

Bhimbetka-Inde.
     Certaines des peintures préhistoriques trouvées dans les abris rupestres de Bhimbetka, dans l'État du Madhya Pradesh, ont environ 30 000 ans. Il s'agit du plus ancien art rupestre connu dans le sous-continent indien !
     Chaque personnage de la scène occupe une place qui respecte son environnement. La description parle d'une communauté paisible.

     Ailleurs, la représentation de la réalité apparaît foisonnante.

Groupe de rhinocéros dans la grotte Chauvet, (France), (30 000 à 32 000 ans AP).
    La précision des formes contraste avec l’aspect brouillon de l’ensemble des animaux représentés. Une rivalité transparaît entre chaque dessinateur, dans la copie et l’amélioration du tracé antérieur, l’effacement volontaire des images sous-jacentes ou les directions qui s’entrechoquent.

On peut comparer ce foisonnement avec celui de peintures contemporaines réalisées sur les murs des villes.

Graffiti (période acuelle) où les créations se superposent
et où chaque artiste tente de mettre son style en valeur, voire de l’imposer.

            3 - L’expression des émotions dans le dessin narratif :

    On retrouve peu d’images complexes que l’on puisse attribuer à Néandertal. Si l’on exclut les nombreux signes qui demeurent incompréhensibles, et que l’on considère que chaque image correspond à un mot, cela pourrait indiquer que son langage était peu évolué, et sa capacité de coopération et de communication limitée, ce qui pourrait ainsi constituer une faiblesse dans un environnement hostile et, peut-être, face à un Homo Sapiens dominant.
    On le constate aujourd’hui encore : lors d’un conflit entre peuples, c’est celui qui communique le mieux qui a le plus de chance de vaincre.

    Ce sont donc les représentations pariétales d’Homo Sapiens qui solliciteront maintenant notre attention. Outre la représentation de scènes de la vie quotidienne, ces peintures peuvent exprimer des émotions. Celles-ci apparaissent dans le contexte du dessin narratif qui recèle alors plus que la simple description d’un personnage.

- L’émotion et le mouvement :
Serra da Capivara - Brésil (48000 à 35000 ans).
    Ici, c’est l’émotion inspirée par la mère qui protège son petit, celle du petit qui gambade joyeusement, mais aussi du berger qui voit son troupeau s’agrandir.
Le bonheur transparaît dans la naïveté du graphisme.


    L’image évoque le départ pour une guerre, mais le mouvement n’y est pas exprimé, les personnages demeurent figés, dans une sorte de pause photographique.
L’incapacité de l’artiste à exprimer le mouvement bride l’émotion qui pourrait toucher l’observateur.

- Les attitudes dans la chasse ou la guerre :
    La variété des styles d’images, à Lascaux et dans d’autres sites, fait qu’il est difficile d'attribuer à une seule et même culture la réalisation de ces œuvres. Toutefois, cette variété permet d’éprouver un sentiment différent pour chaque réalisation, sentiment qui n’est pas celui d’une époque, mais celui de l’artiste. Dans l’expression graphique, c’est en effet l’expérience de vie de l’artiste que l’on peut retrouver.

Lascaux (21000 ans).
    Ainsi, dans cette scène de chasse l’artiste a dépeint, dans l’attitude de chaque personnage, son propre vécu et sa propre expérience de la chasse au sein de sa tribu.

Grotte d'Altamira - Espagne (17000 à 14000 AP)
   Ici, l’’excitation transparaît dans ce combat inégal. La rapidité de l’attaque, la précision du tir et la nécessité de s’éloigner sans tarder sont les conditions de la survie.

Tassili n'Ajjer - Algérie (10 000 à 9 000 ans AP)
    Autre lieu, autre scène : la solidarité de la tribu s’exprime dans l’élan collectif et la volonté de vaincre.

- La sérénité dans la vie quotidienne :
Tassili n'Ajjer.
    A l’opposé, la sérénité s’exprime dans cette scène bucolique de la vie quotidienne.

- Les portraits de famille :
    Ailleurs, un artiste moins habile va dépeindre le foisonnement de la vie dans les attitudes multiples des personnages représentés.

Grotte de Magura - Bulgarie(-9600 à -4000)
        Avec les attitudes, les détails (sexe masculin) ne sont pas oubliés dans cette image : chaque personnage, bien différencié, semble vivant. Si l’artiste n’a pas décrit une histoire, il a su exprimer ce qu’il éprouvait pour chaque membre, de sa communauté, qu’il s’agisse d’un être humain ou d’un animal.


Tassili N'Ajjer - Algérie.
    Ailleurs, certains personnages se distinguent de la communauté. S’agit-il d’un couple royal, ou des parents de l’artiste ?
On constate que la représentation des personnages, vus de profil, se rapproche du style élaboré en Egypte, sans la richesse des coloris.

            4 – Le développement du comptage :

    On retrouve, dans les représentations pariétales, les marques symboliques que nous avions découvertes dans les représentations rupestres sous la forme de trous (les cupules) ou de traits verticaux. Les points gravés sont désormais remplacés par des successions de taches ou de traits colorés.

Auroch.

Saumon.

    Que représentent ces signes ? S’agit-il de nombres : par exemple 4 points pour 4 aurochs ou 7 traits verticaux pour 7 saumons ?
De plus, traits ou points présentent l’avantage de pouvoir être complétés selon les besoins

    Leur signification semble apparaître lorsqu’ils accompagnent des représentations, mais ce n’est pas toujours le cas.

Cerfs nageant.
            On sait par exemple que les sept points rouges situés au-dessus de la frise des « Cerfs nageant » de Lascaux sont antérieurs aux cerfs. On ne peut donc les associer et chaque graphisme conserve sa propre signification.
        
Poursuivons notre enquête.
Grotte Altamira – Espagne (14 000 ans).
        S’agit-il d’élevage : un troupeau serait alors indiqué, les points indiquant le nombre de têtes ? S’agit-il au contraire d’un « habillage » décoratif mettant l’animal en relief ?
Les interprétations possibles sont multiples.
On peut ainsi supposer que les points ont inspiré un artiste ultérieur qui a inséré dans l’un d’eux la pointe d’une sagaie lancée par la main inférieure. L’animal n’appartiendrait plus à un troupeau, ce serait alors un animal sauvage.
Quant aux mains qui font face à l’animal, elles pourraient suggérer l’idée de se protéger d’un danger.
Que les encoches ou les points constituent un système de comptage comme on le retrouve aujourd’hui, ou une décoration comme on le constate parfois, il demeure que la réponse nous échappe encore.

    Néanmoins, on peut acquérir la certitude que les scènes dépeintes dénotent, chez leurs créateurs, une intelligence aussi développée que la nôtre. Cette intelligence leur a permis d’observer et découvrir, puis de décrire par le dessin le monde dans lequel ils vivaient.

    Si la représentation de nombres demeure donc possible, on retrouve ici la nécessité d’une datation fine de chaque peinture afin établir la correspondance entre le nombre possible et l’objet ou animal à proximité.
S’il s’agit d’un système de comptage en cours d’élaboration, il serait variable (points ou traits) selon les époques et leurs auteurs et, pour cette raison, difficilement compréhensible aujourd’hui.

    Comme pour les encoches trouvées sur les bâtons de comptage, on peut établir des analogies avec des symboles actuels : les encoches sont bien souvent utilisées par le chasseur qui fait des entailles sur son couteau, ou le prisonnier des traits sur les murs de sa prison, et les points demeurent toujours un moyen de comptage, comme l’attestent les marques de victoires sur un avion.


Mirage IIIC israélien réformé portant 13 marques de victoires.

    C – Comment peut-on interpréter ces premières images :

        Comment comprendre alors cette description du monde par les images, avant qu'apparaisse notre propre description par les symboles de l’écriture ?
Pour y parvenir, un seul but doit nous habiter : rendre, aux peuples qui nous ont précédés, leur place dans l’évolution du langage. Nous l’avons déjà évoqué, ces hommes n’étaient ni des primitifs, ni des êtres magiques venus d’ailleurs. C’étaient simplement des hommes adaptés à un temps différent du nôtre.

    L’image du « sorcier » de la vallée des merveilles (mais s’agit-il bien d’un sorcier), pouvait simplement indiquer le lieu de sa présence.

Le sorcier - Pétroglyphe de la vallée des merveilles (-3000 à -1500 ans)
    Mais peut-être s’agissait-il du berger chez lequel la tribu venait se procurer lait ou nourriture : ses bras levés pourraient alors être un signal pour s’arrêter en ce lieu.
Si nous réfléchissons sur la vie de ces hommes et leur époque, leur pensée, exprimée par le dessin, pourrait-elle s’avérer communicable ? De plus, cette pensée était-elle symbolique ou tout simplement concrète car adaptée à la réalité quotidienne.

    Revenons à notre sorcier.


    Si nous comparions son image à des dessins d’enfant, nous penserions à la maturité graphique d’un enfant de 3 à 4 ans.
Or nous savons que l’enfant, avant d’avoir subi l’influence de son environnement social, est connecté à la réalité. L’évolution n’a pas prévu mieux pour préserver la vie.
Cependant, comment comprendre alors que ce « bonhomme têtard » possède une tête munie de bras mais dépourvue de jambes ?

    Les hommes de la vallée des merveilles ne disposaient pas de miroirs mais de points d’eau pour s’abreuver et... se voir. Que voit-on en se penchant sur un plan d’eau calme ? On voit son visage et ses bras qui s’agitent autour de la tête.
Ce pétroglyphe nous fait penser alors au tableau de Narcisse admirant son image dans l’eau : ce pourrait donc être l’autoportrait d’un inconnu de la préhistoire.


    Ces dessins réalisés par HomoSapiens méritent-ils l’expression d’explosion artistique qu’on leur a attribuée, ou faut-il les considérer simplement comme un progrès dans l’évolution de leur habileté manuelle ?

    Les hypothèses ne manquent pas pour expliquer les œuvres de nos ancêtres. Mais il est indispensable de considérer que, tout comme l’enfant se réfère à la réalité, les premiers hommes se contentaient de représenter au mieux le monde environnant.

    Imaginons maintenant une autre histoire racontée par une scène très discutée de la grotte de Lascaux : celle d’un homme allongé sur le sol, peut être tué par un auroch dont les cornes demeurent pointées sur son corps.

    Cette image pourrait être l’avertissement d’un danger. L’homme allongé a pu être considéré comme un chaman vaincu par un pouvoir supérieur au sien. Il pourrait aussi dormir et rêver au cours de son sommeil, comme peut le laisser supposer son sexe dressé.
Ce que l’on peut seulement affirmer, c’est qu’il s’agit d’un homme. De plus, présenté sous l’aspect d’un thérianthrope par son profil au bec ouvert à l’image de son animal totem, il peut être considré comme un « homme de pouvoir » au sein de sa tribu.

    Essayons de reconstituer la scène avec l’aide de ces nouveaux éléments.

(Image retouchée)
    Un homme seul, fut-il chaman, peut-il affronter des forces supérieures à celles de son animal totem ?

(Image originale)
    Accompagné de son esprit protecteur, cet homme était venu au contact du monde animal. Etait-ce une rencontre amicale ou la préparation d’une chasse ?
Or son totem, l’oiseau, n’était pas assez puissant pour le protéger de la charge de l’auroch.
Il y a perdu la vie, et cet événement mérite d’être dessiné pour prévenir et protéger les autres, car certaines forces de la nature ne peuvent être affrontées par un homme seul.

    Cette représentation marque la capacité humaine à anticiper les événements à venir.

    Ainsi, tous ces dessins constituent une étape intermédiaire dans la communication. Débutée par des sons désignant un danger comme nous avons pu le voir avec la Mone de Campbell, les mots sont apparus avec l’amélioration de l’articulation de ces sons. Plus tard, les images ont pu représenter les mots avant que l’écriture ne permette de traduire la pensée.


Du son à l'écriture, l'évolution de la comunication et de la représentation du monde.

        Toutefois, si l’image apparaît comme la première transposition du langage oral en graphisme, elle peut être difficilement compréhensible pour celui qui n’a pas vécu à l’époque décrite par la scène.
N’avons-nous pas buté pendant des siècles sur la signification des hiéroglyphes avant que la pierre de Rosette nous apprenne l’équivalence entre langage parlé, images et mots écrits ?
Avant cela, les hypothèses prévalaient.

    Ce que l’on peut alors retenir, c’est que toutes ces images, en illustrant des événements vécus, les décrivent comme le fera plus tard l’écriture.
Chaque image renferme un ensemble d’informations que peuvent comprendre celui qui l’a créée, ainsi que ceux qui ont vécu l’événement ou vivent dans le même contexte. Si les étrangers ne comprennent pas, le dessinateur pourra leur expliquer avec des mots.
    Toutefois, pour l’homme des temps modernes qui demande à comprendre, chaque élément de l’image demeure une énigme (pourquoi l’auroch ? pourquoi l’homme couché ?...).
Il en va de même, aujourd’hui, pour l’adulte qui ne comprend pas le dessin de l’enfant. Il peut alors solliciter une explication.

« L’image est un graphisme qui concerne en tout premier lieu celui qui vient de le réaliser.
Elle concerne également celui qui a assisté à la même scène et peut se la remémorer.
Sa compréhension peut être incompréhensible pour l’étranger qui n’a pas vécu l’événement. »


    On constate ainsi que toutes ces images si différentes entre elles nous racontent une histoire, celle de l’évolution de l’homme.
    Que découvririons-nous alors s’il nous était possible de dater chaque image d’une grotte ? Ne serait-ce pas le moyen de connaître l’évolution des groupes qui se sont succédé en ce lieu pendant des milliers d’années?
Chaque grotte nous ferait alors découvrir ceux qui y sont passé, l’ont habitée, l’ont conquise et, en comparant les images, peut-être saurions-nous de quelle région du monde provient le groupe qui habite désormais en ce lieu.

« L’image résiste au temps,
mais sa compréhension demeure limitée au vécu de l’artiste et de sa tribu. »


« Semblable au langage parlé, l’écriture permet de partager une situation avec le plus grand nombre.
Comme l’image, elle résiste au temps,
et ce qu’elle exprime doit être aussi traduit pour être compris par un nombre plus grand encore. »








Personnage qui dit au revoir




De l'art rupestre à l'écriture, l'évolution du graphisme : (bientôt)


Bibliographie :